Sorti entre Mean Streets (1973) et Taxi Driver (1976), Alice n’est plus ici, quatrième film de Martin Scorsese, se situe au sommet de la carrière du réalisateur. Ce portrait de femme, doublé d’une peinture critique de l’Amérique, touche par sa justesse, prouvant ainsi que Scorsese peut être autre chose qu’un metteur en scène de films violents.
Alice n’est plus ici est avant tout le portrait d’une femme à bout de nerfs. Veuve et mère d’un gamin insupportable, Alice parcourt les Etats-Unis à la recherche d’un engagement en tant que chanteuse. La mère au foyer soumise à son mari a laissé la place à une femme qui dirige elle-même sa vie, travaillant et élevant son enfant. En ce sens, on pourrait penser que le film, en affirmant l’indépendance de la femme, serait féministe. Cette vision serait en fait réductrice : Alice n’est plus ici montre au contraire les difficultés d’une femme qui n’arrive pas à vivre sans conjoint.
Ce portrait se double d’une peinture de l’Amérique profonde. Le début du film présente une vision de la famille pour le moins caricaturale : le mari est brutal et absent, la mère toutouille et pleurnicharde, le gosse rebelle et insolent. Par la suite, Scorsese nous montre la vie d’un snack bar, peuplée par une classe populaire beauf et vicelarde. Car Alice (un prénom qui n’est pas innocent) n’a pas réussi à réaliser son rêve d’enfant de devenir chanteuse et a fini serveuse dans le bled de Tucson. Alice n’est plus ici nous propose ainsi une chronique des frustrés du rêve américain, voués à une vie médiocre. Sans concession, Scorsese préfère néanmoins le portrait attendrissant à la critique féroce.
Scorsese s’est entouré de formidables comédiens qui prennent à cœur leurs personnages. Ellen Burstyn [1], qui avait alors récemment divorcé, s’est fondue avec son personnage . Il en est de même pour Kris Kristofferson [2], convaincant dans son rôle de cowboy charmeur qui a quitté sa femme et abandonné ses enfants. Scorsese retrouve également son acteur fétiche Harvey Keitel, inquiétant dans un rôle d’un type sympathique mais aux pulsions dangereuses. La présence du comédien prouve qu’ Alice n’est plus ici est bien un film scorsesien avec une bo rock, une certaine violence (verbale essentiellement) et une mise en scène mouvante où la modernité côtoie la nostalgie du cinéma classique (le début, tout en technicolor et en fond peint, nous évoque Le Magicien d’Oz).
Entre drame et comédie, Alice n’est plus ici est un road movie critique mais positif : à la fin de son parcours, le personnage d’Alice décidera de s’installer comme chanteuse à Tucson avec son cowboy. La suite, c’est ce que semble développer Alice, sitcom télévisuel produit par CBS entre 1976 et 1985 .
17.10.11.
[1] Ellen Burstyn recevra l’oscar de la meilleure actrice pour son interprétation.
[2] Alice n’est plus ici est le cinquième film du chanteur Kris Kristofferson, acteur encore un peu hésitant (selon ses propres dires).