mercredi 5 octobre 2011

Paris Blues (1961) de Martin Ritt


         Martin Ritt n’est pas un militant engagé dans telle ou telle cause mais un cinéaste marxisant qui perçoit la crise de la société américaine dans une série de dysfonctionnements sociaux, politiques, raciaux ou sexuels. Paris Blues, centré sur la vie de deux musiciens de Jazz à Paris, n’échappe pas à cette théorie.


         Dès son générique, Paris Blues évoque la vie nocturne des caves de jazz de la rive gauche. Ritt tente de reconstituer l’âge d’or du Saint-Germain existentialiste où l’on croise des simili Juliette Gréco et des sosies de Django Reinhardt. La bande originale est signée Duke Ellington (deux ans après son travail pour Otto Preminger et son Autopsie d’un meurtre) et Louis Armstrong en personne fera une apparition à l’écran. Les personnages principaux étant un tromboniste et un saxophoniste, le jazz est donc au cœur du récit et non plus un simple objet de performances scéniques furtives comme c’était le cas dans le cinéma des années 30 ou 40 (si l’on excepte les biographies).
         Cependant, nous sommes loin du Shadows de Cassavetes dans lequel la musique et le film ne faisaient qu’un, contribuant tous deux à la recherche d’une forme à travers une improvisation. En effet, dans Paris Blues, le jazz est avant tout un cadre et non pas un support du film. Ainsi, la musique de Paris Blues n’est pas moderne : le jazz énergique et spectaculaire que l’on y joue est plus proche du big band années 40 que du hard bop ou du free jazz qui faisaient fureur et qui incarnaient une révolte artistique et raciale.

         Sans sombrer dans le cliché, Ritt dépeint un Paris des années 60 plein de charme. Dans ce sens, Paris est consacré comme la capitale du jazz et des amoureux. On y voit les lieux touristiques : Notre-Dame et les quais, les Champs Elysées, Montmartre ou encore la vue de la Tour Eiffel depuis le pont de Bir Hakeim. Certains plans sont même tournés dans des studios au parfum de réalisme poétique (les décors sont signés par Alexandre Trauner). La féerie est tout aussi française que la réalité de la Ville Lumière.
         Cependant, Ritt se refuse à ne montrer que des cartes postales dignes d’Un Américain à Paris. Le film est également (et surtout) tourné en décors naturels et livre aujourd’hui un témoignage intéressant d’un Paris moins connu : les Halles, les puces de Saint-Ouen, la gare du Nord, le parc Montsouris…

         Du point de vue de l’intrigue, Martin Ritt également nous frappe également par la sincérité avec laquelle il aborde les conflits. Il s’attaque ainsi frontalement à la question du racisme (thème cher au réalisateur, et ce, depuis son premier film, L’Homme qui tua la Peur) : l’un des deux protagonistes, interprété par Sidney Poitier, trouve en France un refuge, loin du racisme qui touche son pays, mais refuse d’y retourner pour lutter contre la ségrégation. Les relations amoureuses et sexuelles sont décrites de façon adulte et directe.
         Le personnage de Paul Newman, souvent antipathique, refusera de sacrifier sa passion pour la musique au profit de l’amour. Au lieu de nous inviter à juger le comportement du personnage, Martin Ritt fait le simple constat de son refus d’engagement amoureux. La fille dont il s’est épris (jouée par sa compagne Joanne Woodward) est une divorcée, catégorie que l’on n’a pas l’habitude de voir dans le cinéma classique américain. Il en est de même pour le guitariste junkie (joué par Serge Reggiani !) qui sniffe de la coke sous nos yeux.


         Paris Blues illustre ainsi les qualités de Martin Ritt, auteur trop méconnu : la modestie et l’audace.


05.10.11.