Du Pornographe (2001), au titre explicite, à Tiresia (2003), histoire d’un transsexuel, Bertrand Bonello s’est souvent intéressé au sexe. C’est encore le cas avec L’Apollonide qui, marchant sur les pas de Maison Close, série TV de Canal + diffusée l’année dernière, reconstitue avec soin (mais aussi avec un certain décalage, notamment musical) la vie d’un bordel parisien du début du XXème siècle. Bonello, en mêlant une vision réaliste et de facto condamnatrice et un regard fasciné et nostalgique, déroute.
L’Apollonide revêt un intérêt documentaire considérable. On a aujourd’hui du mal à se représenter l’impact de la règlementation de la prostitution par l’Etat. Jusqu’à la fameuse loi « Marthe Richard » de 1946, les maisons closes étaient institutionnalisées et leurs vies, ponctuées par les visites médicales et les contrôles de la préfecture. Le film de Bonello n’oublie pas de montrer ces détails surprenants.
Mais ce qui intéresse davantage Bonello, c’est le bordel comme lieu de fantasmes: les clients y apportent leur panthère, transforment les filles en geisha ou en poupée et partagent des bains de champagne avec celles-ci. L’Apollonide, qui frappe par la beauté de ses décors et ses costumes, fait renaître un monde nocturne et féérique, comme hors du temps. Une des premières séquences, à la frontière de l’onirique, voit une prostituée raconter son rêve (elle pleure des larmes de sperme) et guide l’interprétation par sa situation en incipit.
Théâtre délirant d’une réalité déformée par des lumières artificielles, le bordel pourrait presque être conçu comme une métaphore du cinéma, autre huis clos étouffant qui renferme les rêves des hommes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les prostituées jouent la comédie du plaisir charnel à plusieurs des clients, joués par des cinéastes : Xavier Beauvois, Jacques Nolot, Pierre Léon…. L’un d’eux est un peintre, fasciné par l’intérieur du sexe des femmes…
On retrouve cette ambivalence du regard sur le bordel (naturalisme et affabulation) dans la vision des prostituées elles mêmes. Dans sa mise en scène du sexe, Bonello semble hésiter entre la démonstration clinique ou pudique et l’érotisme putassier (pensons à la soirée grotesque chez les bourgeois ou à l’insupportable scène de violence physique). D’un côté, il semble condamner la condition de prostituée, métier dangereux (une fille se fait mutiler alors qu’une autre meurt de la syphilis) et aliénant (les filles ne peuvent pas sortir sans « Madame » et semblent souvent plongées dans un état de mélancolie). Certaines filles trouvent refuge de leur malheur dans l’opium alors que d’autres demeurent complètement abruties. « Putain de métier de putain ! » s’exclamera d’ailleurs l’une des filles des joie.
D’un autre côté, la perfection esthétique du film, symbolisée par les éclairages du salon et la beauté des filles (leur peau, leur cheveux nous semblent à chaque fois palpable, désirable), installe très rapidement la nostalgie de ce monde crépusculaire, un brin décadent. Déjà dans Le Pornographe, Bonello regrettait le décalage entre le cinéma porno des années 70 et avec celui contemporain. Finalement, le lupanar de L’Apollonide est rarement glauque et la fin nous ramène à la réalité actuelle (la prostitution le long du périphérique) : on en vient à regretter le monde ordonné (et somme toute protecteur) qu’on nous a montré. A l’attendrissante fraternité qui soudait le groupe des filles, à l’écrin rassurant du bordel ont succédé l’isolement des filles et leur abandon aux dangers de la rue.
Dans L’Apollonide, la fascination semble l’emporter sur la condamnation. A l’heure où l’on parle de rouvrir les maisons closes, L’Apollonide restitue la complexité des enjeux mais pas leur totalité : on ne comprendra pas les motivations initiales des prostituées. L’émotion esthétique n’empêche pas un sentiment de confusion morale.
07.10.11.
L’Apollonide revêt un intérêt documentaire considérable. On a aujourd’hui du mal à se représenter l’impact de la règlementation de la prostitution par l’Etat. Jusqu’à la fameuse loi « Marthe Richard » de 1946, les maisons closes étaient institutionnalisées et leurs vies, ponctuées par les visites médicales et les contrôles de la préfecture. Le film de Bonello n’oublie pas de montrer ces détails surprenants.
Mais ce qui intéresse davantage Bonello, c’est le bordel comme lieu de fantasmes: les clients y apportent leur panthère, transforment les filles en geisha ou en poupée et partagent des bains de champagne avec celles-ci. L’Apollonide, qui frappe par la beauté de ses décors et ses costumes, fait renaître un monde nocturne et féérique, comme hors du temps. Une des premières séquences, à la frontière de l’onirique, voit une prostituée raconter son rêve (elle pleure des larmes de sperme) et guide l’interprétation par sa situation en incipit.
Théâtre délirant d’une réalité déformée par des lumières artificielles, le bordel pourrait presque être conçu comme une métaphore du cinéma, autre huis clos étouffant qui renferme les rêves des hommes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les prostituées jouent la comédie du plaisir charnel à plusieurs des clients, joués par des cinéastes : Xavier Beauvois, Jacques Nolot, Pierre Léon…. L’un d’eux est un peintre, fasciné par l’intérieur du sexe des femmes…
On retrouve cette ambivalence du regard sur le bordel (naturalisme et affabulation) dans la vision des prostituées elles mêmes. Dans sa mise en scène du sexe, Bonello semble hésiter entre la démonstration clinique ou pudique et l’érotisme putassier (pensons à la soirée grotesque chez les bourgeois ou à l’insupportable scène de violence physique). D’un côté, il semble condamner la condition de prostituée, métier dangereux (une fille se fait mutiler alors qu’une autre meurt de la syphilis) et aliénant (les filles ne peuvent pas sortir sans « Madame » et semblent souvent plongées dans un état de mélancolie). Certaines filles trouvent refuge de leur malheur dans l’opium alors que d’autres demeurent complètement abruties. « Putain de métier de putain ! » s’exclamera d’ailleurs l’une des filles des joie.
D’un autre côté, la perfection esthétique du film, symbolisée par les éclairages du salon et la beauté des filles (leur peau, leur cheveux nous semblent à chaque fois palpable, désirable), installe très rapidement la nostalgie de ce monde crépusculaire, un brin décadent. Déjà dans Le Pornographe, Bonello regrettait le décalage entre le cinéma porno des années 70 et avec celui contemporain. Finalement, le lupanar de L’Apollonide est rarement glauque et la fin nous ramène à la réalité actuelle (la prostitution le long du périphérique) : on en vient à regretter le monde ordonné (et somme toute protecteur) qu’on nous a montré. A l’attendrissante fraternité qui soudait le groupe des filles, à l’écrin rassurant du bordel ont succédé l’isolement des filles et leur abandon aux dangers de la rue.
Dans L’Apollonide, la fascination semble l’emporter sur la condamnation. A l’heure où l’on parle de rouvrir les maisons closes, L’Apollonide restitue la complexité des enjeux mais pas leur totalité : on ne comprendra pas les motivations initiales des prostituées. L’émotion esthétique n’empêche pas un sentiment de confusion morale.
07.10.11.