dimanche 26 janvier 2014

Человек-Амфибия / L'Homme Amphibie (1962) de Vladimir Chebotaryov & Gennadi Kazansky


Sorti la même année que Planeta Bur[1] de Pavel Klushantsev en 1962, L'Homme Amphibie marque le renouveau du film de science-fiction dans le cinéma soviétique[2]. Grand succès populaire (plus de 65 millions de spectateurs), L'Homme Amphibie est adapté d'un roman de 1928 écrit par Alexandre Belaiaïev, écrivain majeur de la littérature russe de science-fiction. 

Le récit de L'Homme Amphibie ressemble, par sa simplicité, à un conte. Le film se situe dans un village portuaire indéterminé qui évoque l'Amérique latine (on voit des sombreros et des églises catholiques) bien que le film fut tourné sur les côtes de l'Ukraine. L'homme amphibie du titre, qui sème la panique chez les pécheurs locaux, finit par s'éprendre d'une jeune femme qu'il sauve d'une attaque de requin. Mais l'union des deux amoureux est impossible: l'homme amphibie est victime du rêve fou de son scientifique de père, qui souhaite créer une république sous-marine parfaite et son amoureuse est sous l'emprise d'un méchant patron qui veut exploiter l'homme amphibie afin de récupérer des perles dans la mer...

Variation sur les motifs de la belle et la bête (le monstre amoureux de la belle femme[3]) et de la petite sirène (l'incapacité de l'homme marin à vivre en dehors de l'eau), L'Homme Amphibie reprend aussi le motif tragique d'un amour impossible à la Roméo et Juliette. Le film exploite également de nombreux archétypes de la science-fiction dont l'absurde utopie d'un scientifique (fou, comme il se doit) qui a installé son laboratoire "hight tech" dans un repaire rocheux à la capitaine Nemo (comprendre des décors de carton-pâte et bidons avec des portes automatiques). Le film emprunte pleinement à la culture populaire et se termine même par une séquence d'évasion de prison (avec course-poursuite !). L'Homme Amphibie veut donc faire rêver le spectateur russe en lui offrant un cinéma de genre haut en couleurs. 

Si L'Homme Amphibie se présente comme un divertissement populaire, le film n'en est pas moins dénué de sous-texte politique. Ainsi, le mari de l'amoureuse de l'homme-amphibie, le riche bourgeois qui loue les service des pécheurs pour les recherches de perles, incarne le méchant capitaliste, cupide et insensible. Si le film embrasse la doctrine du réalisme socialiste, il étonne néanmoins en montrant une méfiance envers le progrès scientifique (le père de l'homme-amphibie recherchait le bonheur de son fils mais a engendré son malheur) et envers la justice (elle se range du côté du mauvais patron et est prête à emprisonner les journalistes qui dérangent...). Autre séquence surprenante: la déambulation nocturne de l'homme-amphibie dans la ville, une "city" à l'américaine avec jazz et panneaux lumineux...

Avec son mélange d'audace et de naïveté, L'Homme Amphibie dégage une poésie évidente. Si les séquences aquatiques séduisent par leur beauté, le costume en paillette (façon Claude François) de l'homme-amphibie frôle lui le ridicule. La mise en scène, qui impressionne par son sens du cadrage héritier du cinéma muet (usage récurrent de la contre plongée et du cadre de biais) contribue également à la splendeur du spectacle désuet mais charmant de L'Homme Amphibie.

12.01.14.


[1] Le film fut remonté et "retravaillé" par Roger Corman pour une distribution américaine avec Voyage to the Prehistoric Planet (1965) de Curtis Harrington puis avec Planet to the Planet of Prehistoric Women (1968) de Peter Bogdanovich.
[2] Aelita (1924) de Yakov Protazanov est souvent considéré comme le premier grand film de science-fiction du cinéma soviétique.
[3] véritable poncif du cinéma fantastique que l'on retrouve dans King Kong, L'étrange créature du Lac noir, qui par sa poésie naïve et par ses séquences sous-marines évoquent le film russe