dimanche 26 janvier 2014

Un Roi sans Divertissement (1963) de François Leterrier



L'auteur provençal Jean Giono est adapté à plusieurs reprises dans les années 30 par Marcel Pagnol (Regain, La Femme du Boulanger, Jofroy ou encore Angèle). En 1960, le romancier passe lui-même à la mise en scène en réalisant Crésus avec Fernandel. Avec la société de production "Les Films Jean Giono", il se lance dans le projet d'une adaptation de son propre son roman Un Roi sans Divertissement, écrit en 1947, et dont il confie la réalisation à François Leterrier, auteur d'une adaptation des Mauvais Coups de Roger Vailland en 1960. 

Giono revu par Giono. En adaptant son propre texte, Giono se livre à l'exercice de faire du neuf avec de l'ancien. Il remodèle alors complètement le récit de son roman: il rajeunit les personnages (dont celui de Langlois, donnant ainsi une dimension de récit d'apprentissage), en supprime quelque uns ou les condense. L'ordre de succession des différentes séquences est modifié et Giono se concentre sur la première partie de son roman, le pastiche d'intrigue policière focalisée sur la poursuite d'un assassin dans un petit village enneigé du Sud. Les tours de force stylistiques du roman (multiplication des narrateurs avec un jeu sur les champs lexicaux, un art de la digression) disparaissent donc dans le film au profit d'une attention envers le sujet véritable de l'œuvre: l'ennui qui mine les hommes et la tentation du crime, divertissement suprême, pour y contrevenir. En ce sens, les dialogues du texte sont bien plus explicites que dans le roman et le personnage du procureur, interprété par Charles Vanel, qui ne cesse de commenter l'action, peut être vu comme un double de Giono, exégète de sa propre œuvre. 

Du sang sur la neige. Si des spécificités du roman disparaissent lors de l'adaptation, celle-ci frappe par ailleurs par sa puissance visuelle. Le roman de Giono, obsédé par l'image du sang sur la neige, était déjà proprement visuel. Les images du film de Leterrier, "film en couleurs sans couleurs" (à l'exception du sang donc) pour reprendre les mots de ses auteurs, impressionnent. Les décors naturels et les villages de l'Aubrac (dans le massif central) fascinent: le plan inaugural où une tache noire (le cavalier Langlois) se détache péniblement du blanc de la neige évoque le western (des films postérieurs comme Le Grand Silence ou Pale Rider). Les descriptions purement psychologiques des personnages par Giono sont traduites à l'écran par des images nouvelles: la fascination de Langlois pour un lustre de verre comme révélateur de sa fascination pour un mal froid, tranchant mais grandiose; la reprise du lacet du tueur par Langlois pour suggérer sa déviance vers le crime... L'image et la musique (splendide complainte de Jacques Brel qui explicite le récit), les comédiens et les décors: tous les outils du cinéma sont pleinement au service de l'adaptation de l'un des grands romans de la littérature française du XXème siècle.
 

24.12.13.