samedi 8 décembre 2012

Ostře sledované vlaky / Des trains étroitement surveillés (1966) de Jiri Menzel


La folie créative de la Nouvelle Vague tchèque. Avec Milos Forman, Ivan Passer, et Věra Chytilová, Jiri Menzel est l'un des principaux représentants de la Nouvelle Vague tchèque, mouvement marqué par une grande liberté de ton qui prendra fin après la répression du Printemps de Prague en 1968. Des trains étroitement surveillés est l'une de ses manifestations les plus célèbres, sûrement en raison de sa présentation à la cérémonie des oscars en 1967 où il remporta le prix du meilleur film en langue étrangère. Il est vrai que ce film tragi-comique est une réussite certaine. 

A en croire les quelques aperçus que l'on a pu avoir, la culture tchèque apparaît pour le moins excentrique: en littérature, l'univers inquiétant de Kafka nous a terrifié; au cinéma, des films comme Au feu les Pompiers (1968) de Milos Forman ou Limonade Joe (1964) d’Orldrecht Lipsky nous ont particulièrement intrigué par leur sens du bizarre et du surréalisme. Des trains étroitement surveillés s'inscrit lui aussi dans un cadre spatio-temporel étonnant. Le film de Menzel est en effet centré sur les mésaventures amoureuses de Milos, jeune "sous-chef" de gare dans une petite ville de province, pendant la seconde guerre mondiale (peut-être dans la tradition du cinéma soviétique). Alors que la guerre fait rage, la morne vie de Milos consister à regarder les trains passer. Ici, par le récit d'un destin individuel, la petite histoire se mélange à la grande et l'une finira par anéantir l'autre.
 

Les problématiques de la Nouvelle Vague: la jeunesse partagée entre conformisme et rébellion. Doux-amer, Des trains étroitement surveillés ressemble aux autres films des Nouvelles Vagues de l'époque, français italiens ou encore anglais, car il partage avec eux une préoccupation commune, à savoir la difficulté de la jeunesse à grandir et à se démarquer des conventions de la société. En effet, cette problématique demeure le cœur de biens des premières réalisations et d'ailleurs on peut voir dans le personnage de Milos, qui n'arrive pas à séduire la jolie contrôleuse un lointain cousin des timides Antoine Doinel ou Andrzej Leszczyc (le personnage joué par Jerzy Skolimovski dans ses premiers films polonais). Comme lui dit le médecin, Milos souffre d'un problème d' "ejaculatio praecox" et de plus, il ne parvient pas à copuler avec sa copine car l'oncle de cette dernière est omniprésent. Le sentiment d'échec de Milos le conduira à tenter de se suicider: malgré l'apparente gravité de ce geste, l'attention amusée domine. 

Milos est d'autant plus une victime qu'il est soumis à ses supérieurs hiérarchiques qui lui imposent de respecter des codes absurdes: saluer au passage des trains, uniforme strict. Une règle prohibe même de parler avec les contrôleuses. Discipliné, le chef de gare copine avec les forces d'occupation mais ce personnage grotesque ne parvient pas à maintenir l'ordre dans son petit monde. Malgré le décalage temporel, la critique de la bureaucratie peut donc se lire comme une satire du régime communiste de l'époque. 

Face à ce conformisme et ce formalisme risibles, la tentation est celle de la rébellion. Et la révolution va se faire tant contre l'oppresseur extérieur (les nazis) que contre l'oppresseur interne (les autorités). Dans un moment d'excitation, le collègue de Milos tamponne les fesses d'une fille, geste symbolique d'une révolte qui "tâche" et qui dérange. Après sa "première fois", Milos s'engage lui soudainement dans la résistance et meurt en sabotant un train. Sa mort, aussi brusque qu'absurde, rend ainsi son engagement politique ridicule. Mais peu importe si notre révolté est mort, l'explosion qu'il a provoquée engendre un vent de folie, qui comme le film, libère les carcans.
 

04.11.2012.