jeudi 26 décembre 2013

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » (2003) d'Arnaud Desplechin



Après le tournage de Esther Kahn (2000), Arnaud Desplechin poursuit sa veine anglaise en adaptant une pièce du dramaturge Edward Bond, proche des "angry young men". Le projet de Desplechin consiste à insérer dans le film de fiction, des images de la répétition de la pièce avec les comédiens[1]. 

Shakespeare chez les magnats de l'armement. Dans la compagnie des hommes revisite et modernise des motifs de la tragédie classique. Comme Le Roi Lear, Henri IV ou d'autres pièces de Shakespeare, la pièce d'Edward Bond met en scène une lutte pour le pouvoir: Léo, le fils adoptif d'un industriel, décide de s'affranchir de son père et de le ruiner afin de mieux le remplacer (instauration d'un conflit œdipien). Prince moderne, Léo tente de survivre dans une guerre sans merci où l'on règle ses comptes à coups de stock options, de complots financiers et d'OPA. La violence de l'intrigue se manifeste par des aspersions de sang: décor de salle de bain ou corps d'un bébé arrosés de sang. Le trône du roi (le père) est donc convoité par son fils héritier mais son entreprise est compliquée par la traitrise d'un bras droit (équivalent du personnage de Iago), la démence d'un domestique (le fou du Roi) et la bêtise d'un manant. Estimant que la pièce manquait de personnages féminins, Desplechin y ajoute celui d'Ophélie, une amoureuse qui sombre dans la folie comme dans Hamlet. 

Une approche postmoderne. La démarche de Desplechin, qui mélange les images du film à celles des répétitions, est certes intéressante mais elle paraît hasardeuse. Quand Al Pacino procédait de la sorte avec Looking for Richard (1996), l'acteur en profitait pour expliciter le sens de la pièce, pièce par ailleurs classique et non inconnue du public. Desplechin lui ne se prête que trop peu à l'exégèse et embrouille une œuvre déjà complexe (en terme d'actions, de personnages) en y ajoutant cette sorte de distanciation. Peut être que ce qui intéressait Desplechin était l'idée d'un produit inachevé mais force est d'admettre que le spectateur préfère le produit fini à l'esquisse... Si la pièce d'Edward Bond séduit, c'est donc bien la mise en scène de Desplechin qui déçoit. Plus l'auteur de ces lignes avance dans la connaissance de sa filmographie, moins il est convaincu par le "style" Desplechin: la longueur importante du métrage (et un récit qui s'égare parfois dans des intrigues annexes), une certaine pauvreté visuelle (utilisation excessive des gros plans et de la caméra à l'épaule), un emploi de la musique extra-diégétique dissonant (ici, une bande-son punk de Paul Weller, le chanteur de The Jam)... Bref, autant d'éléments qui nous laissent dubitatifs quant au statut de Desplechin de roi de l'actuel cinéma d'auteur français...
01.12.13.


[1] Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » est composé à 70% d'images du film tourné en pellicule et à 30 %, d'images numériques  tournées pendant les répétitions. Desplechin a tourné un second film intitulé Unplugged, en jouant « Dans la compagnie des hommes », composé d'images vidéo et d'images argentiques dans les proportions inverses du premier film: 30 % d'images du film et 70 % d'images des répétition.