jeudi 26 décembre 2013

La bête humaine (1938) de Jean Renoir

 
Tourné après La Grande illusion (1937) et La Marseillaise (1938), La bête humaine marque les retrouvailles de Jean Renoir avec Jean Gabin (qui jouait déjà dans Les Bas Fonds, 1936). Cette adaptation du roman d'Emile Zola[1], située dans la période la plus réputée de la filmographie du réalisateur, s'inscrit dans le cinéma français de l'époque tout en répondant aux préoccupations politiques de son auteur.
La bête humaine apparaît ainsi comme un « film noir » au sens où l'entendait la critique française pour qualifier une série de films d’avant-guerre, marqués par un pessimisme accablant, tel que Pépé le Moko (1935) de Julien Duvivier, Gueule d’Amour (1937) de Jean Grémillon ou encore Le Quai des Brumes (1938) de Marcel Carné. Sous l'influence d'une femme fatale qui le pousse au crime, Jacques Lantier, cheminot qui conduit la ligne Paris-Le Havre, est un véritable personnage de film noir, victime du désespoir et de la fatalité. La noirceur thématique se double d'une noirceur visuelle: les scènes de crime, tournées dans une nuit de studio, font la part belle aux jeux de lumière expressionisants qui feront la gloire du film noir américain. La bête humaine ressemble aussi beaucoup au Quai des Brumes de Carné, tourné la même année: l'esthétique est la même et l'on retrouve des motifs identiques (le personnage de Jean Gabin qui tombe amoureux d'une femme sous l'emprise d'un homme plus âgé et meurtrier[2]).
Mais comme le souligne Renoir, citant Zola, le véritable personnage de La bête humaine est aussi "La Lison", la locomotive que conduit Lantier. En transposant le récit de Zola dans les années 30, Renoir modernise l'œuvre de l'auteur de L'Assommoir dont il partage les opinions socialistes. Les thématiques du réalisme poétique et du roman réaliste de Zola s'entremêlent pour ne faire qu'un (le poids du destin, le déterminisme social...). Renoir a voulu suivre son aîné en se documentant de façon précise sur la vie des cheminots: préfigurant le travail de l'actors studio, Jean Gabin a suivi un stage auprès d'un mécanicien de rapides pendant plusieurs semaines afin de rentrer dans la peau de son personnage; les séquences d'ouverture de La bête humaine, où l'on suit le train de Lantier de gare en gare et de voie en voie, sont marqués par un rythme endiablé en même temps qu'une dimension quasi-documentaire.
01.12.13.


[1] Jean Renoir avait déjà adapté Zola avec Nana (1926).
[2] Dans l'ouvrage de Noël Burch et Geneviève Sellier, La Drôle de Guerre des Sexes dans le cinéma français, cette situation est identifiée comme la plus vieille du cinéma français des années 30 qu'ils définissent comme "le règne du père".