mercredi 9 juillet 2008

La Section Anderson (1967) & Réminiscence : La Section Anderson, vingt ans après (1987) de Pierre Schoendoerffer


        La guerre du Vietnam semble avoir peu intéressé le cinéma français à son époque. En effet, en 1967, alors que les réalisateurs de la Nouvelle Vague se lancent tous de façon symbolique dans l’aventure d’un documentaire collectif, Loin du Vietnam, explorant la voie de l’engagement politique à la façon du Néerlandais Joris Ivens, rares sont ceux qui évoquent la guerre dans leurs films. Eternel baroudeur et solitaire, Pierre Schoendoerffer décide cependant de faire le déplacement et de suivre pendant six semaines une section de soldats américains en mission dans la jungle vietnamienne. Formidable reportage, La Section Anderson est un précieux document d’histoire, frappant de vérité.


        Reporter pour Paris Match et soldat caméraman pendant la guerre d’Indochine, Pierre Schoendoerffer a avant tout exercé une carrière de journaliste. Son premier film d’ailleurs, La Passe du Diable (1956), cosigné avec Jacques Dupont, était déjà un documentaire romancé sur l’Afghanistan. Après La 317ème Section (1964), film de guerre encore très réaliste, il n’est donc pas étonnant que Schoendoerffer aille tourner La Section Anderson, un documentaire destiné à la télévision, financé et diffusé par la fameuse émission Cinq Colonnes à Une.
        En 1967, Pierre Schoendoerffer part donc pour le Sud du Vietnam, dans un des secteurs les plus dangereux du pays. Il va suivre, caméra à l’épaule, trente trois hommes d’une division de cavalerie américaine, commandée par le lieutenant Joe Anderson, un jeune noir de vingt-quatre ans issu de West Point. Progressivement, les multiples visages nous deviennent presque tous familiers.
        Refusant toute politisation, Schoendoerffer préfère nous montrer le quotidien des soldats. On les voit ainsi assister à une messe en plein air, entonner des chants religieux rivalisant avec le pilonnage de l’artillerie, profiter d’une permission pour aller au bordel ou encore s’amuser en groupe en fumant et riant autour d’un magazine Play boy.
        Le combat nous est présenté avec une extraordinaire sobriété : l’ennemi parait invisible, les marches sont longues, les fausses alarmes nombreuses. Les accrochages sont rapides, nerveux et on entend siffler le crépitement des balles. Les officiers agissent avec calme et rigueur en même temps que les blessés se vident de leur sang. Les bruits des hélicoptères sont assourdissants. Pas d’héroïsme donc, pas de lyrisme : juste une vérité toute nue, rythmée par un stressant battement de cœur qui constitue la seule musique du film.



        Fort et rude, La Section Anderson marqua beaucoup les Américains si bien que le film finit par remporter l’oscar du meilleur documentaire de l’année 1968 et, ce ne fut pas le cas en France, il bénéficia aux Etats-Unis d’une sortie en salles.

        Vingt ans après La Section Anderson, Schoendoerffer décida de retrouver les anciens membres de la patrouille. On constate avec amusement le destin et la trajectoire de chacun : l’un a épousé la fiancée de son meilleur ami, mort à la guerre, un autre a décidé de vivre reclus en pleine nature. Tous semblent avoir été marqués par cette guerre comme le prouvent bien ces flashs qui ponctuent le film. Alors qu’un vétéran nous avoue avoir peur à chaque fois qu’il se promène dans la forêt, qu’il ne peut plus que dormir par terre, un autre astique machinalement et dangereusement sa mitraillette pendant l’interview. Mais le film reste avant tout un excellent ensemble de portraits humains, toujours sensibles et compréhensifs.


        Tout en conservant le regard objectif du journaliste, Schoendoerffer parvient cependant à nous rendre sympathiques les visages anonymes qu’il montre, prouvant ainsi avec ces deux films, qu’il est aussi bon documentariste que romancier ou cinéaste.

09.07.08.

mardi 8 juillet 2008

The Great Sinner / Passion fatale (1949) de Robert Siodmak



        Après une série d’excellents films noirs pour la Fox ou la Universal, Robert Siodmak tourne son unique film pour la MGM, laquelle, à l’occasion des 25 ans de sa création, se lance dans des productions de prestige. Passion fatale a toujours été désavoué par Siodmak, pourtant, le film, servi par une superbe distribution et plongé dans une atmosphère résolument noire, est loin d’être dénué d’intérêt.


        Même si le nom de Dostoïevski n’est pas mentionné au générique, Passion fatale est de façon évidente une adaptation de son roman Le Joueur, écrit en 1866. Mais, dans une volonté de faire un condensé de l’œuvre de l’auteur russe, les scénaristes ont repris pour le personnage principal du film, le prénom de Dostoïevski lui-même, le roman étant déjà semi-autobiographique. De plus, la tentation du meurtre d’une usurière n’est pas sans rappeler Crime et châtiment.
        Parti pour effectuer un long séjour à Paris, Fédor (Gregory Peck), un écrivain russe, rencontre dans le train la fascinante Pauline Ostrovski (Ava Gardner). Il décide d'interrompre son voyage initialement prévu afin de ne pas la quitter à Wiesbaden. Pauline y retrouve bientôt son père, le général Ostrovski, qu'une dévorante passion du jeu entraîne tous les soirs au casino de la ville. Le militaire, presque ruiné, est contraint d'accorder la main de sa fille au directeur du casino pour effacer ses dettes. Bien résolu à sauver Pauline de ce triste sort, Fédor tente lui aussi sa chance au jeu. Il se trouve rapidement pris par la fatale et infernale passion...

        Passion fatale est avant tout une histoire sombre et malsaine sur des menteurs, tous obsédés par l’argent. Même la folie atteindra Fédor et la transformation du calme Gregory Peck en suant névrosé du jeu est particulièrement hallucinante. C’est à ce moment que Siodmak excelle le plus en instaurant une atmosphère expressionisante grâce à des cadrages impressionnants et à une photographie en noir et blanc très contrastée. Notons aussi que la reconstitution de Wiesbaden au XIXème siècle est tout à fait remarquable.

        La concentration des meilleurs techniciens de la MGM et d’une bonne brochette d’acteurs (parmi lesquels, en seconds rôles, Melvyn Douglas, Walter Huston, Ethel Barrymore, Frank Morgan et Agnès Moorhead) font de Passion fatale un merveilleux film de studio.
        Outre deux versions de Crime et Châtiment (celle de 1935 par Joseph Von Stenberg et celle de 1959 par Denis Sanders), Hollywood s’emparera de nouveau de Dostoïevski avec l’adaptation des Frères Karamazov par Richard Brooks en 1958, année même où la Qualité française allait aussi s’attaquer au Joueur avec le film éponyme de Claude Autant-Lara.


08.07.08.

samedi 5 juillet 2008

Serpico (1973) de Sidney Lumet



        Après une escapade anglaise avec Sean Connery pour deux films (Le gang Anderson en 1971 et The Offence en 1972) et un succès mitigé lors de son retour aux Etats-Unis avec Les Yeux de Satan (1972), Sidney Lumet quitte les huis clos théâtraux et étouffants pour les grandes artères de New York, la ville dans laquelle il est né et a toujours vécu. Serpico est donc un polar urbain qui, comme French Connection (1971) de William Friedkin, s’inspire d’une histoire vraie. Il s’agit de la lutte contre la corruption menée par l’inspecteur de police Frank Serpico qui détient une même force de conviction que son homologue Popeye Doyle, tout aussi solitaire, mais qui diffère cependant de Serpico par une constante nécessité d’action. Uniquement centré sur le personnage éponyme du film, Serpico nous présente en effet un être tragique et absurde, victime d’une totale impuissance.


        Le film de Lumet insiste avant tout sur l’humanité du personnage véridique de Frank Serpico. D’origine italienne, Serpico est un flic intègre : drôle et fantasque, il est plus à l'aise dans les soirées branchées de la jeunesse contestataire que parmi ses collègues policiers. Il habite Greenwich Village et épouse progressivement le style vestimentaire du mouvement hippie, convaincu que la police doit ressembler à ceux qu'elle surveille. Entêté et très idéaliste, il est donc très déçu lorsqu’il découvre avec effroi la corruption de ses pairs qui extorquent des pots-de-vin aux criminels. En s’opposant ouvertement à ces méthodes, Serpico connaît donc l’animosité de tous les policiers de New York.
        Ses collègues finiront enfin par le trahir lors d'une opération de rue où il frôle la mort en recevant un projectile d'arme à feu à la figure. C’est sur l’arrivée aux urgences d’un Serpico blessé que s’ouvre le film dont la construction se fera dès lors en flash-back. Déshabillé sur la table d’opération, Serpico est mis à nu : difficile de ne pas apercevoir une figure christique dans ce visage encadré par une barbe et des cheveux longs. L'intransigeance du héros le hisse en effet au rang de martyre : rejeté par les siens (les policiers), il l’est aussi par ses proches (sa vie conjugale se détériore).
        Mais avant d’être un héros tragique, Serpico est un héros absurde qui se bat contre des moulins à vents. En effet, le film de Lumet n’est pas l’histoire d’un homme en lutte contre la corruption de la police mais celle d’un policier qui tente de trouver vainement une police des polices non corrompue. Même lorsqu’il il révèlera au grand jour le scandale en le racontant au New York Times, l'affaire sera étouffée. Après l’échec de sa croisade, il décide de se réfugier en Suisse. Le film se clôt sur le plan de Serpico attendant son départ sur un embarcadère, seul avec son chien.
        Le caractère absurde cette histoire kafkaïenne d’un être en guerre dérisoire contre la société trouve d’une certaine façon son prolongement dans le décalage complet que provoque l’étonnante musique grecque de Mikis Theodorakis, plutôt inappropriée.

        Avec ses scènes d’interpellations, d’arrestations et de filatures, Serpico joue la carte du réalisme et la caméra nerveuse de Lumet n’oublie pas de filmer avec une frappante authenticité l’agitation de la ville de New York. Quant à Al Pacino (dont ce n’est que le cinquième film !), il est bien évidement hallucinant dans le rôle de Serpico. Pour sa brillante composition, il fut cité à l'Oscar du meilleur acteur en 1974, sa seconde nomination après celle du Parrain en 1973. Il remporta néanmoins le Golden Globe du meilleur acteur. Notons aussi que le film fut également cité à l'Oscar du meilleur scénario.


        Film captivant et sans défaut, Serpico est donc un film incontournable du cinéma américain des années 70. Le film connut un tel succès qu’il engendra même une éphémère série TV en 1976. Quant à Sidney Lumet, il allait retrouver Al Pacino en 1975 pour Un Après-midi de chien et aborder de nouveau le thème de la corruption dans la police avec Le Prince de New York (1981), Contre-enquête (1990) et Dans l’ombre de Manhattan (1997).

05.07.08.

mercredi 25 juin 2008

The Sea Wolf / Le Vaisseau fantôme (1941) de Michael Curtiz



        Roman de Jack London écrit en 1904, Le Vaisseau fantôme a été adapté à sept reprises au cinéma. L’auteur interprétait même le rôle d’un marin dans la première transposition à l’écran, celle américaine réalisée en 1913 par Hobart Bosworth. Mais la version la plus réussie et la plus célèbre reste celle de Michael Curtiz qui, grâce à une superbe ambiance, signe ici l’un de ses meilleurs films.


        Le Vaisseau fantôme, commandé par le terrifiant Wolf Larsen, rassemble des créatures déchues: Humphrey Van Weyden (Alexander Knox), un écrivain distingué, George Leach (John Garfield), un homme mystérieux recherché par la police et Ruth Webster (Ida Lupino), une femme évadée de prison. Tous sont contraints de rester à bord du navire de Larsen, cruel loup de mer lui-même pourchassé par un frère hargneux.

        Robert Rossen, le scénariste a inventé et développé le personnage de George Leach, rebelle ténébreux et charismatique. L’écrivain, personnage principal du roman de London est donc remplacé par le couple tourmenté formé par John Garfield et Ida Lupino. Le Vaisseau fantôme frappe surtout étonnamment par la noirceur de ses personnages sombres, constamment en fuite. Même Weyden, l’écrivain propret, va se salir et sera tenté par le crime. Il restera cependant fidèle à une certaine dignité morale face au monstre pervers qu’est Larsen.

        Représentant d’un individualisme égoïste, le personnage de Wolf Larsen se voit complètement diabolisé. En effet, rien ne manque à cette créature autosuffisante et matérialiste. Larsen se révèle même être plein de contradictions : lettré et cultivé (c’est un admirateur de poésie), il fait pourtant preuve d’un autoritarisme absolument barbare à bord de son navire.

        Le simple film d’aventures se transforme alors de façon très subtile en film de propagande: il est en effet facile pour le spectateur de l’époque de reconnaître dans cet instigateur d’un violent totalitarisme un symbole dangereux du fascisme. De plus, la connotation germanique du prénom de Larsen renforce cette idée: depuis la création d’une certaine section de SS et la sortie du fameux Blitz Wolf de Tex Avery, la figure du loup semble être liée de façon évidente au nazisme.

        Cette dénonciation de la dictature n’est cependant pas ce qui marque le plus le spectateur contemporain, plus sensible à la superbe ambiance du film, imprégné d’une esthétique expressionniste propre au réalisateur Michael Curtiz. Le film baigne même dans une atmosphère à la lisière du fantastique lorsque l’on voit des navires sortir de brumes épaisses. Ce fut d’ailleurs le premier film à utiliser ladite « machine à brouillard », alors nouvellement installée.

        Faisant appel à Sol Polito pour la direction de la photographie, Curtiz s’entoure donc d’excellents techniciens. Le Vaisseau fantôme marque d’ailleurs la dernière collaboration de Curtiz avec Eric Von Korngold qui avait signé auparavant la partition de quatre de ses films: Capitaine Blood (1935), Les Aventures de Robin des Bois (1938), La Vie privée d’Elizabeth d’Angleterre (1939) et L’Aigle des Mers (1940). Les acteurs sont eux aussi remarquables, même les inoubliables seconds rôles que sont Barry Fitzgerald en lâche cuisinier et Gene Lockhart en médecin alcoolique.


        Servi par une excellente atmosphère et de brillants acteurs, Le Vaisseau fantôme est donc un remarquable film de studio qui prouve encore une fois de plus l’extraordinaire qualité des productions de la Warner.

25.06.08.

mardi 17 juin 2008

Alice (1990) de Woody Allen


        Mettons tout de suite les choses au point: Alice est un film de Woody Allen sans Woody Allen, mais avec Mia Farrow, sa muse et compagne de l’époque. Le film reprend la même trame que celle de Juliette des esprits (1965) de Frederico Fellini, cinéaste adulé par Woody Allen. Il s’agit des démêlés conjugaux d’une jeune bourgeoise conformiste qui, après avoir découvert les infidélités de son mari, décide de changer de vie.


        Allen transpose l’histoire dans un autre cadre, la banlieue aisée de Rome étant remplacée bien évidemment par New York. Influencé par son mentor Fellini, Allen signe ici une critique plus féroce que d’habitude : au lieu d’une moquerie amusée d’un milieu intellectuel, il procède à une cruelle critique de la bourgeoisie new-yorkaise, futile et frivole. Ainsi, la vie superficielle d’Alice, à l’image de son ridicule chapeau rouge, est régulée par ses courses dans les magasins chics et par ses visites à la manucure où elle retrouve ses amies aux manteaux de fourrure.

        Alice aime profondément ses enfants. C’est une bonne catholique, un peu naïve et son nom nous évoque l’héroïne de Lewis Carroll. Se sachant trompée par son mari (joué par William Hurt), Alice décide de changer complètement de vie et part aider Mère Teresa en Inde. Alice passe alors de l’autre côté du miroir mais pour autant ce n’est pas ce retour à la réalité qui intéresse le plus Allen, celui-ci préférant nous insérer des images des documentaires de Louis Malle. Déjà avant, Allen, en faisant rapidement référence à La Dame de Shanghai (1948) d’Orson Welles avec une scène de rendez-vous donné dans un aquarium, montrait qu’il n’avait pas renoncé à son esprit fantaisiste.
        Allen n’oublie pas non plus sa fascination pour la magie et la poésie. Grâce aux potions et aux herbes magiques d’un docteur chinois qui tient une fumerie d’opium, Alice peut devenir invisible, voler au dessus de Manhattan, danser avec des fantômes. Allen reprend ainsi son audacieux principe de superposition des temps et des espaces comme il l’avait déjà fait dans Annie Hall (1977). Ainsi, Alice revit son premier amour, se ballade dans le passé en assistant à un diner de famille. La liberté narrative arrive à son paroxysme lorsqu’Alice décide de se confesser et se dirige vers un confessionnal qui vient d’apparaître devant la maison familiale.



        Allen reçut pour Alice une nomination pour l’oscar du meilleur scénario. Pourtant, ce film est loin d’être son film le mieux construit et le plus réussi, ni le plus personnel. En effet, la magie et le fantastique passent assez mal car, autant le docteur Yang de Chinatown prête à sourire, autant les discussions avec les fantômes ou avec une incarnation de muse peuvent paraître de mauvais goût. Dommage, parce que ce film excentrique et fantasque était plutôt enchantant.

17.06.08.

samedi 14 juin 2008

Groundhog Day / Un Jour sans Fin (1993) de Harold Ramis



        Harold Ramis, à la fois acteur, scénariste et réalisateur, est aujourd’hui une des figures du renouveau de la comédie américaine. Pour Un Jour sans Fin, son quatrième film, il a fait appel à Bill Murray, acteur au registre de clown triste qui jouait déjà dans son premier film, Caddyschack - Le Golf en folie (1980), mais aussi dans les films d’Ivan Reitman qu’il avait scénarisés: Arrête de ramer, t’es sur le sable (1979), Les Bleus (1981) et les deux SOS fantôme (1984, 1989). Ce film indépendant qui part d’une excellente trouvaille scénaristique aborde de façon évidente la thématique du temps.


        Un Jour sans Fin fait partie de ces films qu’il faut voir pour les comprendre. Il s’agit d’une comédie basée sur un ressort fantastique et absurde, totalement inexpliqué : l’absence de lendemain. Phil Connors, le personnage principal, est un présentateur météo. Il doit se rendre chaque 2 février à Punxsutawney, petite bourgade de Pennsylvanie, pour y faire un reportage télévisé sur le « jour de la marmotte » : selon la légende locale, une marmotte annonce l'arrivée du printemps ou le prolongement de l'hiver devant la population du village rassemblée sur une place publique. Alors qu’il décide de quitter en hâte ce trou perdu, un blizzard l’oblige à passer la nuit à Punsxutawney.
        A son réveil, Phil constate avec effarement que le temps s’est déréglé, qu’hier s’est effacé et qu’il doit refaire ce reportage. D’abord agacé d’être condamné seul à revivre indéfiniment cette journée de la marmotte, il décide ensuite de s’en amuser…

        Le film développe le thème du temps : celui du climat (annoncé dès le générique) que présente chaque matin Phil à la télévision ou celui de la durée du « jour de la marmotte » constamment imposé à Phil. De même, Phil est contraint de rester à Punsxutawney tant à cause du retour incessant de la sonnerie du réveil que du blizzard.

        Un Jour sans Fin s’apparente à un conte philosophique, une fable ou une parabole, bref, à une expérience initiatique dans laquelle Phil va apprendre à apprécier la joie de vivre et à s’accepter en donnant un sens à sa vie. En effet, après la dépression et le suicide impossible, le grincheux du début, odieux et cynique, va s’humaniser en devenant un ange gardien de la ville.
        Le film semble donc être placé sous l’influence de Frank Capra et de sa Vie est belle (1947). Prônant la beauté des gens simples, le film donne une vision de l’Amérique profonde, pleine d’optimisme et d’humanisme dans le sens d’une croyance en l’homme et au changement. Refusant l’égoïsme de l’intérêt personnel, Phil va trouver la joie en aidant les plus démunis et en se dévouant à la collectivité. Phil se sacrifie pour les autres : il sauve un enfant tombant d’un arbre, répare un pneu crevé, paye le repas d’un clochard…

        Dans ce même enseignement, le présentateur météo va comprendre que le spontané l’emporte sur la prévision. En effet, lorsque Phil tente de se rapprocher de Rita, sa collègue de travail, il va préparer sa séduction en explorant la connaissance de ses goûts et de ses envies. Dans cette optique, il va apprendre des poèmes français et s’habituer aux cocktails favoris de Rita. Mais Phil va s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’une vicieuse manipulation.
        Ce n’est que lorsqu’il sera naturel qu’il arrivera à conquérir son cœur. Alors, quand il se réveille, parce qu’il a trouvé l’amour, le lendemain est permis. C’est donc sur ce happy-end conventionnel mais somme toute difficilement inévitable puisque cohérent avec la structure de la fable que se clôt le film.

        En étudiant les changements de situations et en explorant les différents tons possibles pour une même scène, Harold Ramis procède à un véritable jeu de cinéma qu’il poursuit aussi grâce au montage et aux nombreuses ellipses qui permettent l’éternel réveil. Le comique d’Un Jour sans Fin réside en effet beaucoup dans celui de la répétition. Il faut dire que voir une quinzaine de fois le sempiternel réveil exécuté avec les mêmes gestes toujours avec en fond la chanson « I got you babe » à la radio est particulièrement désopilant.


        Malgré un manque d’esthétique (la photographie et la musique sont un peu pourries) et de virtuosité dans la mise en scène, Un Jour sans Fin excelle grâce à son ingénieux scénario et à ses acteurs brillants (Bill Murray et Andie MacDowell). C’est un film euphorique et fantasque que l’on ne se lasserait jamais de revoir.
        Continuant apparemment de façon plutôt inégale son renouveau de la comédie américaine, Harold Ramis a pourtant renoué avec le succès avec le parodique Mafia Blues (1999), et sa suite sortie en 2002, que l’ont dit fort drôles.

14.06.08.

dimanche 1 juin 2008

Saboteur / La Cinquième Colonne (1942) d’Alfred Hitchcock



        Cinquième film américain d’Hitchcock, La Cinquième Colonne est comme Correspondant 17 (1940) un film d’espionnage de propagande antinazie. Produit par la Universal, ce film de studio plutôt méconnu dans la filmographie du réalisateur n’est pourtant pas sans intérêt. Au contraire, il prouve et affirme le génie du maître du suspens qui, à partir d’un scénario faible et des acteurs assez pauvres (Robert Cummings et Priscilla Lane), parvient à transcender le film grâce à la mise en scène.


        Avec La Cinquième Colonne, Hitchcock retrouve son thème favori, celui du faux coupable. Cette fois-ci, le personnage principal est injustement accusé de sabotage. En effet, Barry Kane, l’ouvrier qui travaille dans une usine aéronautique a été confondu avec un traître incendiaire. Kane tente alors de le retrouver en évitant la police qui le recherche et son périple le conduit de la Californie à New York. Le film se termine avec une course poursuite en haut de la statue de la Liberté qui anticipe celle au Mont Rushmore de La Mort aux Trousses (1959)

        Hitchcock signe avant tout un film de propagande. En effet, Kane va déjouer la cinquième colonne, une association criminelle d’Américains ralliés à la cause nazie. Dans le film, les traitres sont bien placés dans la hiérarchie sociale et les meilleurs Américains ne sont pas toujours ceux que l’on croît. En montrant comme grand méchant un grand-père sympathique qui joue avec sa petite-fille, Hitchcock veut bien faire comprendre qu’il faut se méfier de tout le monde en temps de guerre.
        Capturé lors d’une soirée de réception, le héros tentera de révéler aux invités la véritable identité de leurs hôtes. Dans la foule, les gens sont incrédules et n’ont pas conscience du danger que représentent ces gens respectables en apparence mais qui en réalité coulent des bateaux et font exploser des barrages.

        Le scénario de La Cinquième Colonne, complètement invraisemblable, est cependant compensé par une bonne ambiance de film noir. Comme toujours, le maître du suspens se révèle être à la hauteur. Pour confirmer cette affirmation, il suffit d’appliquer la théorie de Godard selon laquelle l’œuvre d’Hitchcock ne marque les esprits que par des scènes et des objets. En cela, « Hitchcock a été le maître du monde. Plus que Hitler, plus que Napoléon, il avait un contrôle du public que personne d’autre n’a eu. » disait-il dans son Histoire(s) du cinéma.
        Ainsi, dans La Cinquième Colonne, le spectateur se souvient inconsciemment d’un homme menotté se jetant d’un pont, d’une visite chez un aveugle très lucide, d’une cachette dans une caravane remplie de forains d’un cirque ambulant avec nain et femme à barbe, d’un règlement de comptes dans un cinéma, d’une ville fantôme, d’un message jeté du haut d’un gratte-ciel avec comme inscription « help ! » écrite avec du rouge à lèvre…
        Comme Kane, héros typique du film noir qui ne cesse d’accumuler les mauvais choix et par conséquent de mal agir, plongé dans un véritable cauchemar, le spectateur se souvient du film comme d’un rêve : il se souvient de détails absurdes et non pas du contenu. Avant donc d’être le maître du suspens, Hitchcock est en fait un maître de la manipulation.


        Film bien ficelé mais non brillant, La Cinquième Colonne est néanmoins intéressant puisque très révélateur de l’art de Hitchcock qui sait dépasser le simple film de studio.


01.06.08.