Créé par le romancier Thomas Harris, le personnage d'Hannibal Lecter, psychiatre cannibale, a connu une belle carrière à l’écran, d’abord avec Man Hunter / Le sixième sens (1986) de Michael Mann (d’après Red Dragon), ensuite avec Le Silence des Agneaux. Cette adaptation du deuxième opus de la série rencontra un succès colossal à sa sortie et remporta l’oscar du meilleur film de l’année. Mélangeant les codes du thriller avec ceux du film d’horreur, Le Silence des Agneaux impressionne le spectateur et le prend aux tripes tout en donnant également naissance à l’un des méchants les plus intéressants du cinéma américain.
Dès le début du film, le scénario est marque par une double appartenance au genre policier et horrifique : si Clarice Starling (Jodie Foster), une jeune profileuse du FBI, interroge Hannibal Lecter (Anthony Hopkins), emprisonné à vie dans un asile, elle le questionne dans le cadre d'une enquête sur une épouvantable série de meurtres commis par un psychopathe surnommé Buffalo Bill, qui dépèce ses victimes.
Le Silence des Agneaux épouse ainsi les ressorts narratifs du thriller avec une traque haletante d’un criminel, l’héroïne étant toujours un peu en avance sur ses confrères. L’évasion d’Hannibal Lecter renforce l’intrigue parralèle et l’attention du spectateur. Le réalisateur Jonathan Demme, éduqué à l’ « écurie » Roger Corman [1], maîtrise en même temps les ficelles du film d’horreur et suscite la terreur du spectateur par la simple noirceur de ses personnages (un cannibale et un serial killer) et par une mise en scène efficace (il joue sur la peur du noir, a recours à quelques effets gore et à une steady cam toujours en mouvement derrière les protagonistes). Buffalo Bill, qui élève des papillons, n’est pas sans rappeler le Norman Bates de Psychose. Par son esthétique d’un sordide naturalisme, le film nous présente une sombre image du Middle West américain dans les années 90, avec des terres marécageuses peuplées de vicelards.
Au-delà de ces qualités, l’intérêt du film réside pour une majeure part dans le passionnant personnage d’Hannibal Lecter, mythe fondateur du psychopathe du cinéma contenmporain. Cet ancien psychiatre, campé par un captivant Anthony Hopkins, se présente comme un intellectuel distingué et cultivé. Ses brillantes méthodes de déduction le rapprochent d’une intelligence digne de Sherlock Holmes. Cependant, ce raffinement cohabite avec la brutalité la plus primaire, conséquence de ses penchants anthropophages. D’ailleurs, comme le Dr Lecter le dit lui-même, illustrant son paradoxe, un humain, ça se déguste avec un petit chianti…
Cette troublante schizophrénie pose un complexe dérangeant : l’homme le plus complet ne serait-il pas celui qui excelle par son intellect mais n’en oublie pas pour autant ses instincts élémentaires ? Variante horrifiante de la figure du savant fou matinée d’ogre, le personnage Hannibal Lecter vole la vedette à l’héroïne. Pour compenser, le personnage de Clarice Sterling a été artificiellement densifié par des traumatismes enfantins, partiellement retranscrits par des flash backs un peu lourdingues.
La puissance du personnage de Lecter est telle que l’on comprend sans peine que Le Silence des Agneaux ait engendré une série : nous verrons donc avec plaisir Hannibal (2001), réalisé par Ridley Scott, suite directe du film de Demme, Dragon rouge (Red Dragon) (2002), remake du Sixième Sens de Michael Mann et Hannibal Lecter : Les origines du mal (2006), préquel qui comme son nom l'indique, revient sur les causes du cannibalisme chez Hannibal adolescent.
[1]Jonathan Demme commença sa carrière en travaillant pour le cinéma d’exploitation de Roger Corman entre 1971 et 1976, co-scénarisant deux films de Joe Viola (Angels Hard as They Come, 1971, et The Hot Box, 1972) ainsi que Black Mama, White Mama (1973), film de blaxploitation réalisé par Eddie Romero. Passé à la mise en scène, Demme tourna trois films pour The New World Pictures, le nouveau studio de Corman : Caged Heat / Cinq Femmes à abattre (1974), Crazy Mama (1975) et Fightin Mad / Colère noire (1975).