jeudi 21 juillet 2011

We Were Strangers / Les Insurgés (1949) de John Huston


         Les Insurgés apparaît comme particulièrement original dans le paysage du cinéma hollywoodien classique. Tout d’abord, il détonne par son cadre, à savoir le Cuba des années 30 sous le régime autoritaire de Machado. Ensuite, le film surprend par son idéologie : suivant un groupe de farouches résistants nationalistes, il adhère à un esprit résolument révolutionnaire. Les protagonistes veulent en effet faire disparaitre la dictature au profit de la démocratie. Il faut ainsi rattacher Les Insurgés à des films comme Cas de Conscience (1950) de Richard Brooks ou Viva Zapata (1952) d’Elia Kazan, qui rappellent qu’Hollywood était capable de s’engager et de porter de l’intérêt à la question de la Révolution, en particulier en Amérique Latine.

         Les Insurgés pose clairement la question de l’engagement politique, exposant des motivations douteuses (le personnage de Jennifer Jones veut venger la mort de son frère) et des moyens ambigus (la possible mort d’innocents est parfois inévitable et nécessaire à la Révolution). L’engagement doit être total excessif : il faut tout quitter et être prêt à y laisser sa vie. Ces croyants, loin d’être de simples aventuriers à la Hemingway [1], illuminés et obnubilés par leurs causes, finissent par devenir des terroristes professionnels. Vivant à part, il ont parfois le sentiment d’être étrangers à leurs propres pays comme l’indique le titre et comme le soulève à un moment une Jennifer Jones, un peu perdue dans ses convictions.
         La douleur de l’engagement est de surcroît renforcée par le fatalisme et le motif de l’échec typiquement hustonien. Le réalisateur souligne la vanité de certaines actions : les résistants construisent un tunnel pour un attentat mais celui-ci s’avère impossible en raison d’un changement in extremis de lieu. L’absurdité de cet instant nous rappelle alors le final de Quand la Ville dort ou du Trésor de la Sierra Madre. La noirceur est ainsi de rigueur et le film se conclut par la mort du personnage de John Garfield, Mais le bilan reste néanmoins positif : la Révolution a finalement réussi, les résistants ont fait preuve de courage et ont créé une cohésion humaine forte.

         Les Insurgés est non seulement d’un film sur l’engagement, mais aussi d’un film engagé. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une citation de Thomas Jefferson : « Résister aux tyrans, c’est obéir à Dieu ». Cet esprit révolutionnaire et démocratique est ordinairement absent du cinéma hollywoodien classique. De plus, il paraît étonnant que le film se situe à Cuba, alors en 1949 sous la main mise des USA et de la dictature de Batista. On décèle ainsi dans Les Insurgés une œuvre courageuse politiquement. Pour bénéficier pleinement d’une indépendance vis à vis des studios, son réalisateur John Huston, a même quitté la Warner Bros (le film est produit par Sam Spiegel et distribué par la Columbia).
         Le personnage principal, interprété par John Garfield (acteur à la réputation gauchiste notoire), est initialement présenté comme un américain. Cubain d’origine, il est en fait revenu des Etats-Unis, où l’avait envoyé son père, un dissident, pour libérer son peuple de la tyrannie. En dépit de ce retournement de situation, on peut donc peut-être y déceler une croyance trotskyste avec une logique de révolution permanente et planétaire. Le film, sorti en avril 1949, au moment où débutaient les commissions des activités anti-américaines, aurait peut-être pu avoir des problèmes mais après 1947, le plus dur était déjà passé. Finalement, le film fut un véritable échec en salles et passa assez inaperçu.
         Le film de Huston peut être vu comme une métaphore du maccarthysme, les insurgés représentant alors les victimes de la chasse aux sorcières. Comme eux, ils sont accusés d’être des terroristes alors qu’ils ne font que défendre la liberté. Les dix d’Hollywood et les révoltés de Cuba se voient traités comme des étrangers dans leur propre pays. Cette interprétation politique est notamment défendu par Bernard Chardère dans Positif, revue proche des exilés hollywoodiens, en 1952 : elle est peut-être poussive mais elle demeure séduisante.

         Les Insurgés ne nous déconcerte pas que thématiquement. En effet, la mise en scène s’avère aussi élégante (grâce à un excellent sens du cadrage) que singulière : on a le droit à une fin proche de celle d’un film contemporain avec une explosion d’action, particulièrement longue et violente (John Garfield et Jennifer Jones se mettant à défourailler partout avec une mitraillette Thompson !). Cet aspect souligne encore une fois de plus l’originalité ce film complexe et passionant.




[1] Car la question se pose. En effet, le film, par son cadre (Cuba) et ses personnages sombres, nous évoque rapidement l’univers d’Ernest Hemingway. Huston a d’ailleurs, pour l’occasion, rencontré sur place (Les Insurgés a été partiellement tourné à Cuba même) l’écrivain qui aurait dit son mot sur le scénario. Celui-ci a été écrit par Peter Viertel, un ami commun au deux hommes. II fut l’auteur du roman Chasseur blanc, cœur noir que Clint Eastwood adaptera en 1990. Il a signé le scénario deux adaptations d’Hemingway au cinéma : celui du Soleil se lève aussi (1957) d’Henry King et celui du Vieil Homme et la Mer (1958) de John Sturges.