mardi 3 juillet 2012

La Citta si difende / Traqué dans la Ville (1951) de Pietro Germi



La Cinémathèque française propose en ce mois de juin une programmation qui retrace l’histoire du cinéma criminel italien et invite à s’interroger sur l’existence d’un film noir à l’italienne. Présenté en ouverture, Traqué dans la Ville constitue une illustration des liens forts qui unissent le cinéma américain et le cinéma italien dans les années 40.
Au jeu des influences, il est difficile de dire quelle cinématographie marque l’autre : d’une part, le néoréalisme, présenté avec succès aux Etats-Unis, a joué un rôle décisif dans le virage réaliste pris par une part importante de la production hollywoodienne de l’après-guerre ; d’autre part, des films comme Traqué dans la Ville traduisent une volonté de proposer une variation transalpine sur les motifs du film criminel américain. Peut-être peut-on parler ici de contemporanéité, de simultanéité des interrogations des metteurs en scène.


De nos jours, Pietro Germi est surtout connu comme un pilier de la « comédie à l’italienne » des années 60 : Meurtre à l’italienne (1959), Divorce à l’italienne (1961), Ces messieurs dames (1964) et Séduite et abandonnée (1966)[1]figurent désormais parmi les classiques de cette veine. Germi tourna pourtant dans les années 40 et 50 une poignée de drames qui, à défaut d’être ouvertement néoréalistes, sont ancrés dans la réalité de l’Italie d’après-guerre. Germi était un admirateur du Tueur à Gages de Frank Tuttle, et ses premiers films (Le Témoin, Jeunesse perdue, Au Nom de la Loi) mettent en scène des personnages criminels.
Traqué dans la Ville étend les séquences finales de Quand la ville dort (1950) de John Huston et relate le destin de quatre malfrats après un casse. Celui-ci, placé en incipit, prend la forme du vol de la recette d’un match de foot et annonce le hold-up de l’hippodrome de L’Ultime razzia (1956) de Stanley Kubrick. La scène qui suit, avec montage et voix-off, présente le travail de la police comme dans les « police documentaries » américains.
Mais la sympathie du réalisateur et de ses scénaristes (Luigi Comencini, et le duo Federico Fellini/Tullio Pinelli) est du côté des malfaiteurs. Ceux-ci, comme le comprend vite le spectateur, sont condamnés : ce n’est pas la police qui entrainera leur perte mais le poids de la fatalité. Un à un, les complices, exsangues, se font prendre, par malchance ou par maladresse. Leur butin lui-même devient dérisoire, réduit à une poignée de billets mouillés.
Plus victimes que coupables, les protagonistes de Traqué dans la Ville ont été contraint au crime par la misère. L’Italie que présente le film ne semble toujours pas être sorti des malheurs de l’après-guerre: l’un des braqueurs est un pauvre père de famille qui n’arrive pas à subvenir aux besoins de son ménage ; l’autre est un ancien footballeur, jadis célèbre, désormais infirme, qui s’est fait jeter à la rue par sa maîtresse, sorte de femme fatale[2] ; un autre encore est un peintre n’arrive pas à vivre de son art ; le dernier est un jeune délinquant qui n’a pas su se satisfaire des efforts conséquents de ses parents pour qu’il soit heureux.
            Proche du pessimisme qui parcourt le film noir américain, Traqué dans la Ville épouse donc en même temps les préoccupations et l’esthétique du néo-réalisme. Le film est tourné de façon documentaire à Rome mais ne montre aucun des lieux  touristiques de la Ville éternelle. Traqué dans la Ville nous donne à voir des transports en commun bondés et des terrains vagues, des cages d’escalier sordides et des appartements d’une pièce où s’entassent des familles nombreuses.
Déambulant désespérément dans les rues de la capitale avec son jeune enfant, le père de famille qui a mis en danger son couple n’est pas sans rappeler Le voleur de bicyclette. Il se donnera la mort dans un champ à l’issue d’une scène particulièrement tragique où l’agilité de la caméra évoque le cinéma russe et Mikhaïl Kalatozov. Comme souvent dans le cinéma d’influence néoréaliste, le film n’est pas dénué de lyrisme comme dans ce final spectaculaire mais caricatural où une « mama » convainc son enfant, debout face au vide et poursuivi par les autorités, de se rendre.


Entre le noir américain et le néo-réalisme, Traqué dans la Ville  inaugure avec force ce mois italien à la Cinémathèque.

13.06.12.







[1] Le film fut récompensé par une palme d’or à Cannes (ex-aequo avec Un Homme en Une femme)
[2] Interprétée par Gina Lollobrigida.