jeudi 12 juillet 2012

Tres Tristes Tigres / Trois tristes tigres (1968) de Raúl Ruiz


Raúl Ruiz est l’une des rares personnalités du cinéma chilien que nous connaissons[1]. Il fait partie avec Miguel Littín et le documentariste Patrico Guzmán des réalisateurs qui ont contribué à l’émergence d’un cinéma national avant la dictature de Pinochet. Ruiz a trouvé refuge en France jusqu’à sa mort en juin 2011. Dans le cadre d’un hommage proposé par le festival Paris Cinéma, nous avons eu l’occasion de voir Trois tristes tigres, le premier long métrage d’une filmographie de plus de cent œuvres.



Trois tristes tigres est l’adaptation d’un roman de Guillermo Cabrera Infante[2], écrivain cubain exilé en Europe suite à des dissensions avec le régime castriste. Le roman, écrit en anglais par Infante à Londres en 1967, est souvent comparé au Ulysse de James Joyce à cause de son attirance pour l’errance et de ses expérimentations linguistiques. Le titre renvoie à un « virelangue » espagnol, c’est-à-dire une phrase ou un petit groupe de phrases à caractère ludique, caractérisée par leur difficulté de prononciation.
Les trois tristes tigres font aussi référence aux trois personnages principaux : Tito, son employeur Rudi, et sa sœur Amanda déambulent à travers Santiago, allant d’appartements exigus en bars miteux, le temps d’un chaud week-end d’été. Ils boivent, échangent des propos vains et des blagues minables. Caméra à l’épaule, Ruiz suit les personnages au plus près et réussit à recréer une impression de vérité, un sentiment de vie, rendant perceptible l’énergie autant que la fatigue. Pendant longtemps dénué de véritable intrigue, Trois tristes tigres ressemble à un documentaire qui décrirait le Chili petit bourgeois des années 60.
Bénéficiant d’une narration très libre, Trois tristes tigres accumule les situations légères ou bizarres : un transport public est perturbé par une retrouvaille entre un voyageur et un piéton ; on récupère un message dans une bouteille vide ; des gens discutent dans un salon alors qu’une personne regarde des images licencieuses dans la pièce d’à côté ; un protagoniste se fait réprimander car il n’a pas d’opinion politique ; un ivrogne s’enivre dans le noir d’un bar rempli de flacons vides...
Le film finit par se recentrer sur une sorte de conflit aux connotations sociales et aux relents marxistes. Tito accepte de prostituer sa sœur auprès de son patron, lequel décide quand même de le licencier. Une fois l’ivresse passée, Tito revient casser la gueule de son employeur. Le film se clôt par une scène où Tito, attablé seul à une table de café, semble avoir perdu son identité en ayant perdu la compagnie de son patron, peut être son unique ami : aliéné, le salarié n’est plus rien sans celui qui l’exploite. Une chanson de pop sur une rupture apporte un contrepoint ironique à cette scène tragique, révélant le pathétique du personnage principal.


Trois tristes tigres ressemble aux films de la Nouvelle Vague par la liberté de sa caméra et de sa narration. Cette introduction à l’étrange cinéma de Raúl Ruiz nous donne envie de découvrir son œuvre.



02.07.12.






[1] Nous connaissons aussi Alejandro Jodorowksy qui n’a jamais réalisé de films dans son pays natal. Alejandro Amenábar est également d’origine chilienne.


[2] Infante a écrit le scénario de Wonderwall (1968) de Joe Massot et de Point limite Zéro (1971) de Richard Sarafian (sous le pseudonyme de Guillermo Cain). Adieu Cuba (5005) d’Andy Garcia est également adapté d’Infante.