mardi 3 juillet 2012

La Sfida / Le Défi (1957) de Francesco Rosi




Ancien assistant réalisateur de Luchino Visconti (La Terre tremble, Bellissima, Senso), Francesco Rosi réalise son premier long métrage, Le Défi, en 1957. On retrouve déjà dans Le Défi les fondements du cinéma de Rosi : le décor de l’Italie du Sud, dont il est originaire, ainsi que son motus operandi, à savoir une fiction mélangée avec le documentaire, annonçant les futurs « films dossiers » (Salvatore Giuliano, L’Affaire Mattei, Lucky Luciano….).


Le défi met en scène Vito Polara, un mafieux ambitieux et impulsif. Débutant dans la contrebande de cigarettes, il se reconvertit ensuite par hasard dans le business des légumes. S’imposant sur la « scène » du crime, il gravit les différents échelons à la suite de nombreux tours de force. Sa réussite se matérialise par l’achat d’une voiture de luxe, par un mariage fastueux et par l’achat d’un appartement moderniste. Bien entendu, l’audace de Vito le mènera à sa perte : il finira par être abattu sous les yeux de sa femme par le chef du gang rival qu’il a osé défié.  

Ce qui frappe dans Le Défi, c’est la symbiose entre un genre (le film de gangsters à l’américaine) et un style (emprunt du néo-réalisme). Le milieu dans lequel le film se déroule, celui des productions agricoles, n’est pas sans évoquer Une femme dangereuse (1940) de Raoul Walsh ou son remake Les Bas-Fonds de Frisco (1949) de Jules Dassin et, comme dans les films américains des années 30, on suit l’ascension du gangster et sa chute. La structure du film est donc classique et les personnages stéréotypés : le protagoniste est, de façon conventionnelle, un anti-héros violent dont la virilité affirmée, la hargne manifeste et le combat solitaire attirent la sympathie. A cela s’ajoutent une « mama » envahissante, personnage archétypal du cinéma italien mais également central dans le cinéma américain (comme dans Le Petit César), une amoureuse un peu sauvage, irrésistiblement attirée par le gangster,  des hommes de main fidèles et des mafieux  inquiétants.  

Rosi se livre également à des grands moments de cinéma, anti-documentaristes car dramatisés par d’amples mouvements de caméra ou une musique prenante, telle l’apparition des gangsters en voiture ou la sensuelle scène d’amour sur les toits, illuminée par le soleil et magnifiée par le vent qui gonfle le linge étendu. Mais derrière le spectacle, se cache les ambitions documentaires de Rosi : le cinéaste décrit avec didactisme le fonctionnement d’un racket: pression auprès des agriculteurs, achat exclusif, transport et revente de la marchandise en ville à un prix entendu. Il filme avec attention l’existence misérable des protagonistes (la vie de famille et d’immeuble, les halles grouillantes) et montre tout l’attrait du crime dans les terres arides du Sud, empoisonnées par le fléau que constitue la mafia, jamais explicitement nommée dans le film.


Concis et sans fioriture, Le défi constitue un film de mafia classique, montrant que le genre existait bien avant Le Parrain. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que Francis Ford Coppola ait vu le film de Rosi : on retrouve la scène du mariage interrompue par les affaires de la famille et le nom de Nino Rota au générique. C’est dire l’importance de ce magistral Défi.



18.06.12.