mardi 3 juillet 2012

La mano dello straniero / Rapt à Venise (1954) de Mario Soldati

Assistant réalisateur d’Alessandro Blasseti ou de Mario Camerini, Mario Soldati passe à la réalisation à la fin des années 30. Au début des années 40, il initie le courant calligraphique avec Le Mariage de minuit (Piccolo mondo antico) (1941) et Malombra (1942), tous deux adaptés du romancier Antonio Fogazzaro. Coproduction italo-britannique Rapt à Venise porte la marque de Graham Greene, grand ami de Mario Soldati. Il faut dire que le récit trouve son origine dans un texte auto-parodique écrit par Greene pour un concours de nouvelles. On y trouve donc, sans surprise et jusqu’à la caricature, tous les ingrédients qui caractérisent l’œuvre du romancier anglais. 

A la façon de Première Désillusion, Rapt à Venise prend pour héros un petit garçon abandonné qui se trouve mêlé à une intrigue criminelle : ici, le jeune Roger, âgé d’une dizaine d’années, est à la recherche de son père, kidnappé par des espions yougoslaves. Sans surprise, le spectateur est obligé de compatir avec le gamin prisonnier d’un consulat et séparé de ses parents et confronté au monde des adultes.
Comme dans Le Troisième Homme,  le récit se déroule dans une ville intrigante, plaque tournante de l’espionnage et théâtre de l’affrontement silencieux entre les blocs : les canaux étroits de la cité des doges ont pris la place des ruelles de Vienne.  A la façon de Carol Reed,Mario Soldati a fait le choix de tourner en décors naturels, ce qui rend le film d’autant plus vivant et plus spectaculaire. Le parallèle entre Rapt à Venise et Le troisième Homme est par ailleurs renforcé par la présence d’Alida Valli, encore une fois dans un rôle de réfugiée meurtrie par la vie, et Trevor Howard, de nouveau dans un personnage de « major ».
Enfin, comme dans Un Américain bien tranquille, le film se livre à une confrontation entre deux conceptions de la foi catholique: le père séquestré, le major Court vient incarner une vision optimiste de l’existence, basée sur une foi profonde, une confiance déraisonnée dans la vie ; à l’opposé, son geôlier, le docteur Vivaldi, joué par le vétéran hollywoodien Eduardo Ciannelli, est un pascalien convaincu, exprimant l’obligation de faire des choix rationnels, se rangeant dans le camp communiste parce qu’il voit tous les signes du déclin de l’Occident[1]. La confrontation philosophique se pose d’emblée en des termes théoriques, abstraits et le spectateur, très vite renonce à comprendre.
Dans une Italie profondément communiste, le film suscita la gêne : la « main de l’étranger » ne désigne pas seulement la main du docteur Vivaldi, généreusement et sincèrement tendue au petit Roger mais aussi la responsabilité des services secrets yougoslaves opérant sur le sol italien et kidnappant des ressortissants britanniques pour les emmener, drogués, vers leur patrie.

Prenante et bien menée, cette variation de Graham Greene sous le ciel de l’Italie s’avère un divertissement volontiers  incohérent mais plaisant.

14.06.12.






[1] Le docteur possède un exemplaire du Déclin de l’Occident (1918) d’Oswald Spengler.