jeudi 12 juillet 2012

The Raven / L’Ombre du Mal (2012) de James McTeigue

L’Ombre du Mal fait partie de ces films semi-biographiques qui invitent le spectateur à s’aventurer aux côtés d’un auteur célèbre qui fait l’expérience de « vivre » son œuvre fictionnelle. On avait déjà eu Hammett (1982) de Wim Wenders, Kafka (1991) de Steven Soderbergh et Shakespeare in Love (1997) de John Madden. Voici L’Ombre du Mal, troisième film de l’australien James McTeigue, qui élucubre sur les mystérieux derniers jours de l’existence d’Edgar Alan Poe.


L’Ombre du Mal se déroule dans le Baltimore de 1849 : un serial killer recrée les crimes des nouvelles de Poe comme ceux de Double Assassinat dans la Rue Morgue, Le Puit et le Pendule, Le masque de la Mort rouge ou encore Le mystère de Marie Roget[1] Si l’on ne s’attarde pas sur les quelques scènes amoureuses un peu niaises, le scénario est particulièrement bien ficelé : il prend donc la forme d’une haletante enquête, d’un jeu de piste mené par Poe[2], incarné par John Cusack, pour retrouver l’assassin qui le défie et a enlevé sa fiancée.[3] L’Ombre du Mal apparaît comme un film ludique, un divertissement dont la fonction principale serait donc de parcourir de façon insolite l’œuvre de Poe.
Véritable pastiche de la littérature et du cinéma gothiques[4], visuellement très travaillé, L’Ombre du Mal réemploie parfaitement toute l’imagerie liée à l’œuvre de Poe : ruelles gagnées par la brume et hantées par des fiacres inquiétants, cimetières à la Caspar David Friedrich avec corbeaux menaçants, arbres décharnés et carillons de minuit… Le film n’est pas loin du cycle Poe de Roger Corman: la séquence du bal inspirée du Masque de la Mort rouge est ainsi très similaire à celle du film de 1964, avec la silhouette rouge encapuchonnée qui se perd au milieu des danseurs.
Ancien assistant réalisateur de George Lucas (sur Star Wars, épisode II) et des frères Wachowski (sur les trois Matrix), James McTeigue, réalisateur de V pour Vendetta, marie le gothique avec l’influence du jeu vidéo et du graphic novel. Cette modernisation n’est pas loin de la cure de rajeunissement que Guy Ritchie a récemment fait subir à Sherlock Holmes. Si l’on aoute à ce corpus The Prestige de Christopher Nolan, force est de constater que le victorien s’accommode bien du passage au numérique. Dans The Raven, James McTeigue accentue encore l’esthétique très sombre propre au monde d’Edgar Poe, et fait le choix d’une violence gore, très graphique, héritière de 300 ou de Sin City. Il y a même dans L’Ombre du Mal, avide de ralentis, une scène d’action avec des effets de type « bullet time ». Le générique de fin, ultra-moderne, associe un son hard rock avec des représentations d’engrenages en images de synthèse.


L’Ombre du Mal illustre donc à la perfection ce renouveau d’intérêt pour le gothique qui parcourt le cinéma américain contemporain. Les vampires de Twilight, le romancier alcoolique de Twixt et les contes horrifiques de Blanche Neige et le Chasseur montrent qu’Edgar Poe, le maitre du macabre, a créé un univers qui fascine encore et irrigue encore la culture populaire. On s’étonnera donc, face à la qualité indéniable et au budget conséquent de ce film, de sa sous diffusion dans les salles françaises.



03.07.12.




[1] Cette série de crimes « à la façon de » n’est pas sans rappeler Théâtre de Sang (1973) de Douglas Hickox, dans lequel un comédien éreinté par la critique commet des assassinats selon différents épisodes des tragédies de Shakespeare.


[2] Après tout, Poe n’est-il pas un des pères du roman policier ?


[3] Il y a derrière le film une autre idée assez répandue, celle de la confrontation entre un admirateur et son idole, une relation que l’on trouve dans Danse macabre (1964) d’Antonio Margheriti (qui mettait déjà en scène un personnage fan d’Edgar Poe) et The Fan (1996) de Tony Scott.


[4] Le film, dans la tradition de ceux de Lew Landers (1935) et de Roger Corman (1963), s’intitule même Le Corbeau en anglais alors même qu’il n’a aucun lien avec le poème de Poe.