mardi 3 juillet 2012

Picpus (1943) de Richard Pottier


D’origine autrichienne, Richard Pottier fait ses débuts en tant qu'assistant réalisateur de Josef Von Sternberg sur le tournage de L'Ange Bleu. Installé en France dès les années 30, il signe une quarantaine de films en trente années de carrière : on trouve dans sa filmographie des films avec Luis Mariano (Le Chanteur de Mexico), Fernandel (Casimir), Tino Rossi (Destins), un film de science-fiction (Le monde tremblera) ou encore des péplums (David et Goliath, L’enlèvement des Sabines). Sorti pendant l’Occupation et produit par la Continental, société de production cinématographique française financée par des capitaux allemands[1], Picpus est l’une des premières adaptations de Georges Simenon[2].


La première chose qui frappe l’esprit du spectateur contemporain qui regarde Picpus est l’absence de toute référence à l’Occupation. L’action est située en 1943 mais nulle trace des Allemands dans la capitale. Par ailleurs, loin de la noirceur qui s’empare du cinéma criminel de l’autre côté de l’Atlantique, Picpus adopte un ton léger, volontiers comique. Le commissaire Maigret, en vacances, peu doit revenir à Paris enquêter sur un meurtre mystérieux commis dans le quartier de Picpus.
Tout au long du film, le policier ne se défait pas d’un humour basé sur des répliques cinglantes, ironiques. L’intrigue, alambiquée à souhait, compte moins pour le spectateur que les dialogues. Ciselés par Jean-Paul Le Chanois, ceux-ci évoquent même le brio des comédies américaines dont Pottier retrouve le rythme et l’allant, quitte, pour dynamiser les scènes d’exposition, à avoir recours au split-screen.
 Le récit, mené à toute allure, s’avère assez libre, prenant sans cesse des détours alambiqués. qui ne paraissent même pas nécessairement s’inscrire dans  l’intrigue : ainsi, alors que le film s’achemine vers sa conclusion, le commissaire Maigret est invité à un diner de gala où les hôtes sont déguisés en Indiens et assiste à un inattendu concours de beauté. L’interprétation de Maigret par Albert Préjean, aux airs de Gabin, est fort convaincante. Avant que Gabin ne s’empare à son tour du personnage dans les années 50[3], Préjean reprendra le rôle du fameux inspecteur dans Cécile est morte (1944) de Maurice Tourneur et dans Les Caves du Majestic (1944), également réalisé par Richard Pottier.
Face à Préjean, les seconds rôles composent une population pittoresque, typique du cinéma français des années 30-40. Chaque personnage se distingue par des traits de caractère marquants, par des accents très prononcés et par un jeu d’acteur brillant. On se souvient ainsi du clerc voleur, à la fois binoclard et obséquieux, du médecin de marine fou qui se plaint de sa petite retraite, du collègue obèse et bègue de Maigret qui s’avoue souvent être « « impressionné »…



Enquête policière et tonalité humoristique font donc bon ménage dans Picpus, divertissement de qualité qui faisait oublier à une France vaincue qu’elle traversait une des périodes les plus douloureuses de son histoire.



13.06.12.




[1] . Créée en 1940 par Joseph Goebbels, la Continental produit une trentaine de longs-métrages entre 1941 et 1944, dont L’assassinat du Père Noël (1941, Christian-Jaque) Le Dernier des Six (1941, Georges Lacombe), Les Inconnus dans la Maison (1941, Henri Decoin), La Symphonie fantastique (1941, Christian-Jaque), L’assassin habite au 21, La Main du diable (1943, Maurice Tourneur) ou encore Le Corbeau. Agissant en relative autonomie, ignorant les règles de la censure vichyste, Alfred Greven employait même des techniciens et des artistes juifs, comme Jean-Paul Le Chanois, scénariste de Picpus.
[2] Maigret avait déjà fait l’objet de plusieurs adaptations : La Nuit du Carrefour (1932) de Jean Renoir (avec Pierre Renoir, le frère de Jean, dans le rôle du commissaire) ; Le Chien jaune (1932) de Jean Tarride ; La Tête d'un homme (1933) de Julien Duvivier. D’autres romans de Simenon avaient déjà également été adaptés : Annette et la Dame blonde (1942) de Jean Dréville et La Maison des sept jeunes filles (1942) d’Albert Valentin.
[3] Maigret tend un Piège (1958, Jean Delannoy), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (1959, Jean Delannoy) et Maigret voit rouge (1963, Gilles Grangier)