jeudi 16 août 2012

Borat (2006) et Brüno (2009) de Larry Charles

            

                Le britannique Sacha Baron Cohen est le digne héritier de Peter Sellers: roi du déguisement, il s'amuse à créer des personnages grotesques, aussi bêtes les uns que les autres. Comme l'acteur de La Panthère rose, Cohen ne craint pas le ridicule et ose tout: l'outrance, la tarte à la crème, le nu et l'indécent. Mais Sacha Baron Cohen, comique des années 2000 recherchant le scandale, va plus loin que son parrain et son humour, trash et potache, est sans limite. Illustration avec Borat et Brüno, deux films jumeaux du comédien, réalisés par son comparse américain Larry Charles.
 

                La création d'un personnage. Les personnages de Borat et Brüno ont fait d'abord leur apparition dans le Ali G Show, émission tv dans laquelle a débuté Sacha Baron Cohen. Borat est un Kazakh moustachu, toujours affublé d'un costume-cravate bleu-gris. Sa famille est dégénérée: son père est violeur, son frère est retardé mental, sa sœur est la quatrième prostituée la plus "visitée" du pays et son épouse est une matrone autoritaire dont la mort accidentelle mettra en joie notre héros! Tous les habitants de son village sont également des crétins finis. Ils vivent reclus, dans une société arriérée qui souffre de la pauvreté engendrée par la tutelle de l'URSS: ils dansent la disco dans les années 2000 et se contentent de biens électroménagers de seconde qualité.
                Vêtu de culottes de loden, Brüno est un journaliste de mode autrichien et homosexuel. Le personnage représente un homosexuel caricatural au regard de son habillement et de son comportement efféminés. La sexualité de Brüno est clairement malsaine: il se livre à des pratiques sadomasochistes et sa relation avec un nain le mène confins aux de la pédophilie. A la stupidité et à la maladresse incontestables du personnage, s'ajoutent un accent germanisant très prononcé ("ah ya", "übber-fashion") et des relents d'inconscient néo-nazi (il fait un salut fasciste dans un camp militaire).  

                Un même modus operandi. Borat et Brüno embrassent une structure et un ton identiques[1]. Les deux films s'ouvrent par l'auto-présentation des personnages qui s'adressent à une caméra opérant un travelling arrière. Borat et Brüno (récurrence du prénom qui commence par B) sont deux personnages de journaliste qui, accompagnés d'un assistant, partent aux Etats-Unis pour y découvrir les mœurs et coutumes. Il en découle des "mockumentaries", c'est-à-dire des faux documentaires où le spectateur, perdu, ne sait jamais s'il fait face à la réalité ou à une mise en scène.
                Dans les deux cas, Borat et Brüno sont incapables de comprendre la culture locale et l'humour naît du décalage manifeste avec les Américains moyens. "Borat, ce sont Les lettres persanes revues et corrigées par MTV" disaient Les Cahiers du Cinéma à la sortie du film. Les péripéties de Borat et de Brüno sont semblables: désillusion amoureuse et déchéance du personnage principal (il perd son argent, se dispute avec son compagnon de route), tentative (pleine bonne volonté) de s'adapter à la culture locale en prenant des leçons, passage par une conversion religieuse afin de découvrir la "vérité", rencontre avec des célébrités qui se prêtent au jeu... 

                Du politiquement incorrect. Les deux créations de Sacha Baron Cohen véhiculent des clichés: la première sur les pays méconnus d'Asie, aux coutumes et aux mœurs jugées arriérées par l'Occident; la seconde sur l'homosexualité et sur la culture "branchée" berlinoise en associant mode, électro et homosexualité. Alors que la crétinerie du superficiel Brüno se caractérise principalement par sa volonté de devenir "über-famous", le personnage de Borat va plus loin dans les stéréotypes dégradants: il incarne un pays cruel, raciste, homophobe, sexiste, et fortement antisémite (ses compatriotes organisent la chasse aux juifs comme un sport !). Ce n'est pas tout: Borat est atteint de différentes maladies (comme la syphilis) et a des croyances religieuses hasardeuses (il croit au "vautour").
                L'humour de Sacha Baron Cohen est à double tranchant: d'un côté, les clichés qu'il réveille nous permettent de réaliser à quel point ceux-ci sont grossiers; de l'autre, ils ne sont ranimés que pour mieux faciliter la moquerie. On a ainsi accusé l'humoriste des maux qu'il est censé combattre (racisme, antisémitisme...).
                En fait, ceux qui en prennent plein la gueule, ce sont surtout les Américains: à l'innocence de Borat et de Brüno, Cohen oppose tantôt la xénophobie ou le conformisme des habitants du pays de l'oncle Sam. Et alors que les grotesques personnages de Sacha Baron Cohen sont ouvertement des clowns[2], les Américains moyens qui nous sont présentés, puritains et ignares, apparaissent malheureusement comme bien plus vraisemblables (d'autant plus que souvent, on ne peut pas parler de jeu d'acteurs mais de réactions authentiques de "figurants").
                Le comique de Sacha Baron Cohen est volontairement trash et provocateur[3]. Souvent obscènes, les images montrées agressent le spectateur. Borat se fait inspecter l'anus, il poursuit nu son imprésario obèse dans les couloirs de son hôtel, montre sa merde à des bourgeois, boit l'eau des toilettes, s'enivre avec de étudiants sordides... De son côté, Brüno imite la fellation, montre son sexe en érection faire des tours de 360° sur lui-même, adopte un enfant noir qu'il fait poser dans une parodie de la crucifixion... La sexualité et la scatologie sont finalement les deux aspects les plus choquants.
 

                Les bouffonneries de Sacha Baron Cohen amusent autant qu'elles dérangent. Présentant un personnage très extravagant, Borat séduit plus que Brüno, qui, basé sur des blagues avec des ressorts essentiellement sexuels, paraît beaucoup plus trash et bien moins agréable à regarder. Mais dans l'un comme dans l'autre, le mauvais goût et la bêtise y côtoient toujours la provocation audacieuse, la critique féroce et sans concession.

30.07.2012.






[1] Le dernier film de Sacha Baron Cohen, The Dictator, reprend encore de nombreux éléments narratifs de Borat et Brüno bien qu'il n'adopte pas la forme du faux documentaire.


[2] Un musique de fanfare dans Borat vient confirmer le burlesque de l'humour.


[3] Todd Phillips (réalisateur de Very bad Trip et de Date limite) a participé au scénario de Borat que le réalisateur devait même réaliser. Jay Roach, réalisateur des Austin Powers, est coproducteur du film. Ces associations n'étonnent guère au regard de la proximité entre leur humour trash et celui de Sacha Baron Cohen.