samedi 25 août 2012

Dressed to Kill / Pulsions (1981) de Brian De Palma


                Comme Obsession (1976) et Body Double (1984), Pulsions est un hommage de Brian De Palma à Alfred Hitchcock, le maître du suspense. Le film s'apparente à un pastiche, à un exercice de style : Pulsions fonctionne comme une extension des scènes-clés et des motifs fondamentaux du cinéma hitchcockien.
 

                Pulsions fait principalement référence à Psychose (1960). Comme dans le film d'Hitchcock, un personnage féminin se fait assassiner dès la première demi-heure, allant à l'encontre des attentes du spectateur qui pensait avoir affaire au personnage principal. Comme dans Psycho, la femme va trouver la mort en se faisant poignarder sauvagement dans un lieu clos: ici un ascenseur vient remplacer la salle de bain. Mais De Palma, obsédé par les tueries de Norman Bates, s'amuse par ailleurs à revisiter la fameuse scène de la douche, au début et à la fin du film, jouant sur la connaissance que le spectateur a de Psychose.
                Comme Hitchcock dans Psychose toujours, De Palma trouble les pistes sur l'identité du tueur: on nous le montre sous l'apparence d'une femme mais en réalité, il s'agit d'un psychopathe schizophrène, d'un adepte du travestissement. Il n'est autre que le psychiatre de la victime et son interprétation par Michael Caine confirme son personnage cinématographique à la sexualité troublée: son physique (cheveux bouclés et regard attentionné) un peu efféminé lui a valu de jouer à deux reprises des hommes aux tendances homosexuelles dans Piège mortel (1982) de Sidney Lumet et dans le remake du Limier par Kenneth Branagh en 2007.
                Tel Norman Bates, le tueur de Pulsions souffre de schizophrénie et finira par être interné dans un asile de fous. Mais avant cela, De Palma aura usé des procédés déloyaux. Comme dans Psychose où Norman Bates imitait hors champ la voix de sa mère défunte, De Palma manipule le spectateur, se joue de lui, en montrant des images mensongères: dans Pulsions, le psychiatre écoute les messages du tueur sur le répondeur de son téléphone alors qu'il s'agit d'une seule et même personne ! 

                Le personnage du psychiatre et le titre français du film viennent souligner l'importance de la psychanalyse, matière déjà chère à Hitchcock. Pulsions est un film extrêmement sexué, un film sur le désir, aux relents puritains. Ainsi, la femme du début est une bourgeoise new-yorkaise insatisfaite par sa vie conjugale: la scène d'ouverture, un rêve érotique du personnage, est suivie par une séquence de sexe crue et sans passion. Notre bourgeoise va alors chercher son bien-être ailleurs et coucher avec un inconnu, rencontré au musée, dans une séquence virtuose qui revisite celle de Sueurs Froides où Madeleine contemple le portrait de Carlotta.[1] Mais, à peine son plaisir sexuel sera-t-il comblé qu'elle trouvera la mort...
                La séquence du musée est à ce titre révélatrice : un plan bref chez Hitchcock devient un plan-séquence aussi virtuose qu’interminable chez De Palma. Chaque scène revisite le cinéma d’Hitchcock, le prolonge, le modifie, l’allonge, le dilate. Le film de De Palma veut susciter un plaisir cinéphile de la répétition, de la variation. Ce cinéma va jusqu'à l'épuisement des formes (le film compte presque trois remakes de la scène de la douche de Psychose), il recherche la jouissance, l'extase. Ce plaisir de spectateur est renforcé par une mise en scène exquise, une caméra constamment en mouvement et une musique lyrique.
                De Palma réussit son pari, celui d'égaler le maître du suspens dans la création d'un climat de peur et de tension: le spectateur, qui sait ce qui l'attend, est continuellement agrippé sur son fauteuil, toujours sur ses gardes. Mais si l'exploration du cinéma d'Hitchcock révèle le fort impact des images terrifiantes créées par "Hitch" dans notre imaginaire, le cinéma de De Palma s'avère un souvenir obsessionnel et maladif, qui tourne en boucle. Tout le paradoxe de De Palma est là: le cinéaste se livre à une compétition un peu vaine, à un pur exercice formel. 

                On trouve dans Pulsions des thématiques déjà ébauchées chez Hitchcock (je pense au voyeurisme de Fenêtre sur Cour) mais devenues centrales dans le cinéma américain des années 70, marqué par le spectre des scandales politiques. Le fils de la bourgeoise assassinée, un amusant adolescent bricoleur, un « geek » avant l’heure, s’inspire de De Palma lui-même. Le personnage veut retrouver l'assassin de sa mère parce qu'il a déjà perdu son père à la guerre du Vietnam. Ce rappel des blessures du conflit inscrivent le film dans une époque troublée.
Dans son enquête menée avec la complicité d’une escort girl qui a été témoin du meurtre, le jeune homme se prête à des écoutes pour suivre l’avancée des travaux de la police. De même, il espionne le psychiatre en filmant l'entrée de sa maison: le cinéma, sensé enregistrer la vérité, sensé permettre une surveillance, s’avère incapable de montrer la vérité. L’image du coupable ne suffit pas à donner son identité, il faut pour cela questionner le film, l’interpréter. C’est également le cas de cette autre image traumatique, celle du reflet du tueur dans le miroir de l’ascenseur, qui va aiguiller l’enquête sur une fausse piste (ce n’est pas une femme mais un homme). 
 

Film cinéphile, construit autour d’Hitchcock, Pulsions trahit donc également les craintes de la société américaine dans les années qui suivirent l’assassinat de Kennedy, une société obsédée par les images en même temps persuadée qu’elles ne recèlent pas la réalité. Brian De Palma parvient ainsi à dépasser les limites de sa re-visitation et l’inévitable manque de créativité qu’elle implique. Le réalisateur devait se libérer de l’influence d’Hitchcock avec son film suivant, le thriller paranoïaque Blow Out (1981), centré sur la question de la crise de la représentation. 

13.08.2012.


[1] Psychose  et Sueurs froides ne sont pas les seuls films cités par De Palma. Comme Cay Grant dans La Mort aux Trousses, Nancy Allen récupère le couteau des mains de l'assassin et est sur le moment accusée du meurtre.