mercredi 8 août 2012

Фауст / Faust (2012) d’Alexandre Sokourov


Avec Faust, Alexandre Sokourov achève une tétralogie centrée sur les effets corrupteurs du pouvoir : les trois premiers titres étaient consacrés à Hitler (Moloch), Lénine (Taurus) et Hirohito (Le Soleil). Plutôt que du Faust de Christopher Marlowe, le Faust de Sokourov se veut une adaptation de l’œuvre de Goethe, même s’il semble faire des emprunts au roman de Thomas Mann datant de 1947. Mais le drame de Goethe lui-même n’est qu’une succession de réécritures et ce corpus originel offre donc des formes diverses, des discours contradictoires. 


D’emblée, le film fait le choix de plonger le spectateur dans la matière philosophique, dans les réflexions prométhéennes qui font la valeur de ce mythe moderne qu’est Faust. Le spectateur assiste péniblement aux élucubrations théoriques du docteur avec le diable : le film, qui durera plus de 2h, sera donc bavard et les discussions, élaborées et interminables, sur l’existence de Dieu et les limites du scientisme ne sont pas faciles à suivre.
Le spectateur, bercé par le discours incessant et abscons des personnages, se concentre sur les images marquantes que le film lui propose. Ainsi, le malin, loin du démon ailé du film de Murnau, prend ici l’apparence d’un repoussant et grotesque homme-cochon, affublé d’un sexe minuscule au niveau du derrière et qui se livre aux pires obscénités : le diable défèque dans une église, embrasse des statues de vierge Marie et immerge son corps nu dans un bain au milieu de jeunes blanchisseuses. Plus tard, un homoncule monstrueux respirera dans un flacon trop étroit, incarnation des dangers de la science, tandis que des sexes, saisis en gros plans, viennent rappeler l’origine de l’humanité. Dans Faust de Sokourov, les images parlent plus que toutes les conversations.
L’imaginaire visuel germanique est convoqué par Sokourov : le cinéaste, recrée les paysages romantiques de Caspard David Friedrich et les scènes de genre de la peinture des écoles du Nord: un petit village situé sur le flanc d’une imposante montagne, un désert de glace et de rocailles, une forêt embrumée et un enterrement au petit matin, une fenêtre baignant dans la lumière et une femme qui s'y penche… Les citations de Sokourov sont picturales, son film fourmille d’un bestiaire insolite, regorge de détails véritablement pittoresques.
Malheureusement, la mise en scène s’avère inutilement complexe. Sans justification aucune, Sokorouv s’amuse tout à déformer le cadre et diffusant en 4 :3 des images tournées en 16/9. Cette anomalie (maléfique ?) trouble, renvoie probablement à l’anamorphose, un procédé qui, à l’instar du crâne dissimulé dans les Ambassadeurs d’Holbein, doit induire une dimension différente, inviter à un déplacement du regard. Ici, il n’y a rien de caché dans l’image, juste une image indéchiffrable quand elle est tordue, encombrée quand elle retrouve ses proportions normales.  De plus, certains effets agacent comme ce ralenti nimbé d'une lumière d’un blanc immaculé qui vient naïvement souligner la pureté de la belle Marguerite.
 

Le Faust de Sokorouv a été encensé par la critique. Pourtant, le film n’est pas loin de l’esbroufe, comptant sur des sentences philosophiques en pagaille et une incontestable beauté plastique certaine pour impressionner le spectateur. Mais cet ambitieux Faust parait brouillon, manquant de cette simplification nécessaire au cinéma. Il ne faut pas déformer l’image, il faut la composer avant, éventuellement, de la décomposer. La vapeur des geysers sur laquelle se clôt le film vient rappeler la nature de ce Faust : fumeuse.
 

04.07.12.