samedi 25 août 2012

Le Amiche / Femmes entre elles (1955) de Michelangelo Antonioni

 
            Quatrième film d'Antonioni, Femmes entre elles est l'adaptation d'un roman de Cesare Pavese, auteur turinois engagé à gauche. Avec Le Amiche, Michelangelo Antonioni explore ce qui va devenir son sujet de prédilection (la vacuité de la classe bourgeoise observée depuis le point de vue d’une femme) bien qu'il n'ait encore trouvé la forme qui servira le mieux son propos, à savoir un cinéma de l'image-temps, froid et silencieux, qui fait écho à la disparition du sujet, à l’érosion de l’identité.
 
 
            Le Amiche met en scène cinq femmes de la bourgeoisie de Turin. La tentative de suicide de l'une d'elles tient un rôle d’élément déclencheur et perturbe leur petit monde hypocrite et mesquin. La question du suicide avait déjà été abordée par Antonioni dans son sketch de L'Amour à la Ville (1953), cosigné par Carlo Lizzani, Dino Risi, Federico Fellini, Cesare Zavattini et Alberto Lattuada et elle reviendra dans Le Désert rouge en 1966. Ce sujet préoccupait également tout particulièrement Pavese qui se donna la mort en 1950. Comme plus tard dans la série des Desperate Housewives, le suicide est un évènement qui révèle les failles que personne ne soupçonnait d'une société composée essentiellement de femmes aussi aisées qu’oisives.
            Quand on demande à la dépressive Rosetta les motivations de son geste mystérieux, la première réponse de la jeune femme est avant tout la révélation de son mal être: le seul choix qui s’offre à elle, chaque matin, est celui qui consiste à déterminer quelle robe elle va porter dans la journée. Bien entendu, l’explication avancée par Rosetta dissimule un amour malheureux qui justifie davantage son action mais l'idée générale, celle du vide, est là.  A Turin, dans Le Amiche, l’existence semble suivre son cours, les jours passent mais les personnages ne connaissent pas de raison de vivre. Sur les cinq femmes présentées, deux d'eux d'entre elles seulement sont actives mais le domaine de leur travail (la mode et l'art) peut aussi être considéré comme futile.
            Toutes affublées de manteaux de fourrure, ces bourgeoises agacent voire dégoûtent: à peine arrivée au chantier de sa boutique en travaux, Clélia critique la lenteur des ouvriers; le cynisme de la monstrueuse Monina semble inappropriée au regard des événements et des douleurs profondes cachées par Rosetta; la frivole Mariella, elle, accumule les amants, trompant l’ennui dans le renouvellement. En fait, seules Nene, artiste-peintre trompée par son mari, et Clélia, arriviste qui a réussi grâce à sa volonté, suscitent réellement la compassion du spectateur. Le titre original, Le Amiche, s'avère ironique: les "amies" se mentent les unes les autres, s'échangent les maris et peinent à se comprendre.     
            Autour de ces femmes gravitent des hommes dont le comportement n’est pas moins méprisable. Cesare, l’architecte, s’avère un vrai cavaleur qui drague toutes les femmes qu’il rencontre. Le peintre Lorenzo occupe une place plus ambiguë dans la petite société turinoise et pourrait faire office de double du cinéaste. En effet, Lorenzo est partagé entre d'un côté, ses aspirations à créer, à s’élever au-dessus de la médiocrité ambiante et de l'autre, sa propre faiblesse, qui l’invite à tromper sa compagne parce qu’elle a du succès, à tomber dans les bras d’une jeune femme à qui il ne peut proposer qu’une relation sordide. Le seul être profondément sain demeure Carlo, l’apprenti de l’architecte, méprisé par les bourgeoises. Issu du peuple et fidèle à sa classe, il représente pour Clelia l’idéal d’une vie modeste mais digne. L’héroïne, attirée par la bonne société, ne saura saisir cette chance et la fin du film est dominée par l’amertume.
 
 
            Dénonçant déjà l'ennui et la fausseté du monde bourgeois, Antonioni n'a cependant pas encore trouvé le moyen filmique pour renforcer son propos. Ainsi, au lieu et place du silence et du vide qui pèseront dans L'Aventura, La Nuit ou L'éclipse, films à la limite du cinéma expérimental, Femmes entre elles embrasse certains codes du mélodrame et la satire passe à travers les dialogues. On trouve néanmoins dans Femmes entre elles quelques éléments qui feront la force des films à venir du cinéaste: une guitare cool jazz et surtout un intérêt, à travers les personnages, pour l'art (le couple de peintres), la mode (le métier de Clélia) ou encore l'architecture (l'architecte de l'appartement de Clélia), des domaines dont l’appropriation par Antonioni va lui permettre de créer un univers à part, à l’unisson de son propos.
 
14.08.2012.